« La tourte voyageuse n’a nul besoin de protection… Elle est ici aujourd’hui et sera ailleurs demain, et aucun acte de destruction ordinaire ne peut la menacer ni diminuer le nombre de ses congénères qui se multiplient par légions chaque année. »
Rapport d’un comité restreint du Sénat de l’État de l’Ohio en 1857, sur un projet de loi visant à protéger la tourte voyageuse*
Jean-Jacques Audubon a peint la tourte voyageuse alors qu’elle était à son apogée et constituait l’oiseau sauvage le plus répandu en Amérique du Nord. En moins d’un siècle, l’espèce est toutefois passée de plusieurs milliards d’individus à un seul, puis à l’extinction.
Au XIXe siècle, la tourte voyageuse était omniprésente et se déplaçait en gigantesques colonies : une volée pouvait compter plus d’un milliard d’oiseaux! Des groupes aussi denses protégeaient des agresseurs aériens. Mais ces nuées formaient une manne pour les chasseurs, qui abattaient aisément adultes et oisillons.
Dans Ornithological Biography, où figure une description de la vie de chacune des espèces représentées dans les Birds of America, Audubon décrit le vol acrobatique et l’acuité visuelle des tourtes voyageuses ainsi que leurs migrations en quête de nourriture. Il souligne que leur profusion et leur appétit vorace les mènent vers des sites de reproduction et de nidification où l’eau et la nourriture abondent.
La description que fait Audubon des habitudes de la tourte voyageuse ne rallie pas tout le monde. Dans The Expressions of Emotion in the Pigeons, le célèbre ethnologue Wallace Craig qualifie Audubon de pionnier de l'ornithologie américaine, précisant que « le travail d’un pionnier est forcément brut et imparfait ». À propos de la planche LXII, qui montre une femelle tourte voyageuse donnant la becquée à son partenaire dans le cadre d’un rituel d’accouplement, Craig critique « l’imagination peu scientifique » d’Audubon et affirme qu’en « réalité les oiseaux sont toujours côte à côte lors de la becquée » et que « s’il y a offrande de nourriture, elle se fait du mâle à la femelle** ».
La plupart des gens approuvent toutefois l’apparence physique qu’attribue Audubon à l’oiseau. Cette planche montre un couple de tourtes voyageuses aux caractéristiques similaires, la femelle étant légèrement plus petite et possédant une queue plus courte. Les deux ont un corps robuste et une petite tête, un bec droit, un cou fin, de courtes pattes et un plumage compact sur le dos. Le rouge brunâtre clair du mâle est plus éclatant que le brun grisâtre de la femelle.
La tourte voyageuse s’est éteinte lorsque la dernière de son espèce, Martha, est morte en captivité, le 1er septembre 1914, au zoo de Cincinnati. Cette disparition est devenue la première extinction documentée d’une espèce causée par l’homme, non seulement par la chasse, mais aussi par la perte de son habitat forestier au profit de terres agricoles. La mort de Martha a attiré l’attention mondiale sur la nécessité de sauvegarder les espèces menacées et de protéger toutes les espèces, même celles aux populations nombreuses.
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