La reconnaissance des qualifications professionnelles se définit comme le processus qui consiste à vérifier que les connaissances, les compétences, l’expérience professionnelle et le niveau d’études acquis dans un autre pays correspondent aux normes canadiennes pour l’exercice d’une profession ou d’un métier. Loin d’être simple, ce processus diffère non seulement d’une province et d’un territoire à l’autre, mais également d’une profession ou d’un métier à l’autre. La tâche est particulièrement ardue pour les candidats aux professions réglementées, professions qui représentent environ 20 % du marché du travail canadien. La complexité du processus peut contribuer aux difficultés d’intégration des immigrants dans le marché du travail et à leur surqualification.
Bien que la responsabilité de la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger incombe généralement aux provinces et aux territoires, le gouvernement fédéral a lancé plusieurs initiatives visant à faciliter ce processus pour les immigrants. L’enjeu de la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger a par ailleurs fait l’objet de nombreux rapports à l’intention du gouvernement fédéral, et a été nommé spécifiquement dans plusieurs discours du Trône ainsi que dans plusieurs plans budgétaires au fil des années.
L’étude présente les initiatives lancées au niveau fédéral pour tenter d’amoindrir les difficultés relatives à la reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger. Elle présente notamment les programmes de financement comme le Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers, les services d’établissement offerts avant et après l’arrivée ou encore la récente intégration d’une certaine forme de reconnaissance des titres de compétences acquis à l’étranger dans les exigences des programmes d’immigration économique. Toutefois, ces initiatives restent limitées et des pressions continueront de s’exercer pour que les qualifications professionnelles acquises à l’étranger soient reconnues de manière plus juste et que les perspectives économiques des nouveaux arrivants s’améliorent.
La politique d’immigration du Canada vise à accueillir des immigrants qualifiés pour répondre aux besoins du marché du travail canadien. Cependant, on constate année après année que des postes demeurent vacants dans certains secteurs d’activité alors même que des immigrants compétents sont sans emploi ou sous-employés.
Cette déconnexion entre l’offre et la demande dans certains secteurs est en partie due à l’absence de reconnaissance juste et effective des qualifications professionnelles obtenues à l’étranger des nouveaux arrivants au Canada. La reconnaissance des qualifications professionnelles s’entend du :
processus qui consiste à s’assurer que les connaissances, les compétences, l’expérience professionnelle et le niveau d’études acquis dans un autre pays sont comparables aux normes établies pour exercer une profession ou un métier au Canada 1.
On parle également de processus de reconnaissance des titres de compétences étrangers, et ce, même si «titre de compétences » désigne techniquement un diplôme ou un certificat et n’englobe pas les autres types de qualifications professionnelles comme les compétences et l’expérience.
La reconnaissance des qualifications professionnelles nécessite l’intervention de multiples acteurs qui viennent ainsi compliquer le processus. En effet, la responsabilité de la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger incombe généralement aux provinces et aux territoires, et requiert la participation des ordres professionnels et des organismes d’autoréglementation relevant de leur compétence. Toutefois, le gouvernement fédéral a également lancé des initiatives visant à faciliter le processus de reconnaissance des qualifications professionnelles. La présente étude porte sur ces initiatives fédérales.
À quels obstacles les immigrants se heurtent-ils lorsqu’ils tentent de faire reconnaître au Canada leur expérience de travail et leur scolarité acquises à l’étranger? Les problèmes peuvent se présenter sous diverses formes :
Selon une étude de World Education Services datée de 2019, la non-reconnaissance de l’éducation acquise à l’étranger et la propension des employeurs à ne pas reconnaître les qualifications et l’expérience sont parmi les principales barrières à l’emploi citées par les immigrants sondés 5.
Il convient de rappeler que le problème de la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues à l’étranger n’est qu’un facteur parmi d’autres pouvant conduire un immigrant compétent au chômage ou à la surqualification au Canada. En effet, les employeurs préfèrent parfois embaucher un candidat né au Canada plutôt qu’un immigrant pour différentes raisons, légitimes ou non :
Dans d’autres cas, des facteurs sociaux peuvent nuire à l’intégration des immigrants à la population active. Ceux-ci doivent parfois combler un grand fossé culturel et surmonter l’absence de réseaux sociaux dans le cadre de la recherche d’emploi. Le niveau de scolarité de plus en plus élevé au sein des travailleurs nés au Canada, plus particulièrement dans les régions urbaines, où les immigrants ont tendance à s’établir (Toronto, Montréal, Vancouver), peut aussi faire augmenter la concurrence et rendre plus difficile la tâche des immigrants en quête d’un emploi 10.
Les difficultés liées à la reconnaissance des qualifications professionnelles qui se perpétuent d’année en année tiennent notamment au grand nombre d’intervenants dans ce dossier. En général, selon le partage des pouvoirs législatifs établi par la Loi constitutionnelle de 1867, la réglementation des métiers et des professions relève de la compétence des provinces sur la propriété et les droits civils 11. À noter qu’une compétence similaire a été dévolue aux territoires 12.
Selon Emploi et Développement social Canada (EDSC),
quelque 500 organismes de réglementation, cinq organisations reconnues d’évaluation des qualifications, ainsi qu’un grand nombre d’associations professionnelles, d’établissements d’enseignement postsecondaire et professionnel, et d’employeurs [répartis] dans les treize provinces et territoires du pays 13
participent tous d’une manière ou d’une autre au processus d’évaluation des qualifications. Pourtant, les professions réglementées ne représentent que 20 % du marché du travail canadien 14. En ce qui concerne les 80 % qui restent, l’évaluation des qualifications obtenues à l’étranger des immigrants est effectuée par les milliers d’employeurs responsables de l’embauche de travailleurs professionnels et compétents dans les secteurs non réglementés comme le tourisme, l’industrie textile ou encore l’informatique.
Outre les difficultés liées au grand nombre d’intervenants, la reconnaissance juste et effective des qualifications professionnelles obtenues à l’étranger est entravée par les pratiques de certains groupes professionnels qui acceptent difficilement les immigrants qui n’ont pas été formés au Canada ou qui n’ont pas procédé à une réorientation professionnelle.
Si la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues à l’étranger constitue un facteur à considérer sur le marché du travail, la question de la reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger est également importante pour les quelque 300 établissements d’enseignement postsecondaire canadiens reconnus qui doivent évaluer la formation ou les diplômes obtenus à l’étranger pour inscrire les étudiants immigrants dans le programme d’études adéquat Si la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues à l’étranger constitue un facteur à considérer sur le marché du travail, la question de la reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger est également importante pour les quelque 300 établissements d’enseignement postsecondaire canadiens reconnus qui doivent évaluer la formation ou les diplômes obtenus à l’étranger pour inscrire les étudiants immigrants dans le programme d’études adéquat ..
Les difficultés liées à la reconnaissance des qualifications professionnelles au Canada ont commencé à être identifiées dès les années 1980 16. Cette question a suscité un intérêt croissant dans les années 1990, au cours desquelles ont été publiés plusieurs rapports invitant le gouvernement à collaborer avec les intervenants dans le but de reconnaître de manière plus juste les titres de compétences 17. Cet intérêt s’est maintenu au fil des ans et le secteur privé a d’ailleurs publié plusieurs rapports sur la question au début des années 2000 18. Le gouvernement a pour sa part maintes fois reconnu le problème et promis de s’y attaquer 19.
Le sujet a également fait l’objet de mentions spécifiques dans plusieurs discours du Trône au fil des ans 20 ainsi que dans plusieurs plans budgétaires récents 21. La reconnaissance des titres de compétences a également attiré une certaine attention parlementaire, plusieurs rapports de comités parlementaires ayant été publiés au cours des années 22 avec des recommandations à cet égard.
Le gouvernement fédéral a donc décidé de lancer plusieurs initiatives liées à la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues à l’étranger.
Le Forum des ministres du marché du travail, qui est composé de représentants des paliers fédéral, provincial et territorial, a rendu public, en novembre 2009, le Cadre pancanadien d’évaluation et de reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger (le Cadre pancanadien) 23. Le Cadre pancanadien est un engagement commun envers les principes d’équité, de transparence, de rapidité du service et de cohérence dans le cadre de la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger. Il établit une norme de service d’un an pour faire savoir aux immigrants si leurs qualifications professionnelles sont reconnues ou bien s’ils doivent satisfaire à des exigences supplémentaires, le cas échéant. Les stratégies de mise en œuvre du Cadre comprennent la mise en place de mesures de soutien pour les immigrants avant leur arrivée au Canada, le financement de certains projets visant à améliorer l’évaluation et la reconnaissance des qualifications professionnelles, des mesures de soutien à l’intégration des immigrants au marché du travail, et l’établissement d’une liste de métiers et de professions ciblés à court et à moyen terme. Cette liste est bonifiée au cours des années 24.
Le Forum des ministres du marché du travail cible ainsi des professions et métiers pour lesquels les gouvernements peuvent prendre des mesures adaptées à leurs contextes respectifs afin de s’assurer de la bonne application de tous les principes du Cadre. Depuis 2014, un total de 19 professions et de cinq métiers sont ciblés dans le contexte de la mise en œuvre du Cadre pancanadien 25.
En mai 2010, le gouvernement fédéral a mis sur pied un Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers 26, administré par EDSC. Ce programme permet de financer de nombreux projets visant à améliorer le processus de reconnaissance des titres de compétences étrangers dans certaines professions et certains secteurs, réglementés ou non. Les projets admissibles peuvent être dirigés par différents organismes canadiens, dont des organismes de réglementation, des établissements d’enseignement, des entreprises, des groupes professionnels et des conseils sectoriels. Des fonds fédéraux sont aussi disponibles pour des projets menés par des provinces ou des territoires. Selon le Plan ministériel 2019-2020 d’EDSC, les dépenses prévues pour l’exercice 2020 à 2021 associées au Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers sont de 21,42 millions de dollars 27.
Annoncée dans le budget de 2017, la Stratégie d’emploi ciblée pour les nouveaux arrivants comprend trois grands volets liés à l’intégration des nouveaux arrivants dans le marché du travail canadien :
La Stratégie est financée grâce à la réaffectation de ressources existantes d’EDSC. Un montant de 27,5 millions de dollars doit ainsi être réaffecté sur cinq ans à compter de l’exercice financier 2017-2018, suivi par 5,5 millions de dollars par année par la suite 29.
Le site Web de Guichet-Emplois, administré par EDSC, offre des renseignements pertinents sur le marché du travail relativement à un type d’emploi précis ou à une ville ou une région au Canada. Guichet-Emplois permet ainsi de générer des listes d’occasions d’emploi selon la profession et le lieu d’emploi choisis en précisant notamment pour chaque poste affiché la description de tâches, le salaire, les compétences exigées et les programmes de formation linguistique. Guichet-Emplois se sert également de données provenant de diverses ressources gouvernementales de manière à fournir de l’information qui est adaptée à l’utilisateur 30.
L’outil pour la reconnaissance des titres de compétences étrangers au Canada est directement intégré à Guichet-Emplois. À l’aide de cet outil, les travailleurs étrangers peuvent voir quel est le titre de leur profession ou de leur métier au Canada, s’il s’agit d’une profession réglementée et, le cas échéant, le nom et les coordonnées de l’organisme de réglementation. On y trouve aussi de l’information sur la durée des processus de reconnaissance de titres de compétences particuliers et les coûts connexes 31.
Depuis 2015, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a considérablement développé les services d’établissement disponibles à partir de l’étranger. IRCC ne fournit pas ces services directement; il finance plutôt des fournisseurs de services, y compris «des organismes d’aide aux immigrants, des organismes sectoriels ou d’emploi ou des établissements d’enseignement 32 », par l’entremise d’ententes de contribution.
Les services d’établissement avant l’arrivée sont offerts aux personnes vivant à l’extérieur du Canada, dont la demande de résidence permanente a été approuvée et qui sont en mesure de fournir la documentation requise par IRCC 33. Parmi les services offerts, on compte des services liés à l’emploi, y compris des services permettant d’aider les immigrants à entamer le processus de reconnaissance de leurs titres de compétences et de leurs qualifications alors qu’ils se trouvent encore dans leur pays d’origine 34.
Une fois au Canada, les nouveaux arrivants ont accès à des services dans le cadre du Programme d’établissement administré par IRCC 35. Dans le cadre de ce programme, IRCC finance des fournisseurs de services, notamment des organismes d’aide aux immigrants, des organismes de services sociaux ou des établissements d’enseignement, pour l’octroi de services dans six principaux domaines :
Des services pour aider les nouveaux arrivants à se préparer pour la reconnaissance de leurs titres de compétences ou l’obtention d’un permis d’exercice sont notamment offerts par certains organismes dans le cadre des services liés à l’emploi financés par IRCC.
Le gouvernement fédéral exige que les diplômes obtenus à l’étranger soient évalués pour déterminer leur équivalence canadienne dans le cadre du processus de demande des immigrants de la catégorie économique 37. L’intégration de cette exigence constitue une certaine forme de reconnaissance des qualifications, et peut faciliter l’entrée dans le marché du travail auprès de certains employeurs. Cependant, l’obtention d’une telle évaluation ne correspond pas automatiquement à un accès facilité à l’exercice d’une profession réglementée.
Le système en ligne Entrée Express gère les demandes de résidence permanente dans le cadre des programmes d’immigration de la classe économique, soit le Programme des travailleurs qualifiés, le Programme des travailleurs de métiers spécialisés, ainsi que la Catégorie de l’expérience canadienne. Dans certains cas, le système Entrée Express permet également aux provinces de recruter des candidats dans le cadre de leur Programme des candidats des provinces respectif.
Dans le cadre d’Entrée Express, tous les demandeurs doivent répondre à des critères d’entrée minimaux afin de se qualifier, pour ensuite être placés dans un bassin. Les candidats du bassin sont ensuite classés individuellement à l’aide du système de classement global, qui attribue des points aux demandeurs lorsqu’ils répondent à certains critères. Les candidats les mieux classés selon le système de point sont ensuite invités à demander la résidence permanente.
Si un demandeur souhaite cumuler des points dans le système de classement global d’Entrée Express pour des diplômes obtenus à l’étranger, il doit présenter avec sa demande d’immigration une évaluation des diplômes d’études (EDE). L’EDE constitue une preuve de l’équivalence canadienne des diplômes, certificats ou titres obtenus à l’étranger. Par ailleurs, un demandeur principal ayant obtenu des diplômes à l’étranger est tenu d’obtenir une EDE pour être admissible au titre du Programme des travailleurs qualifiés. À noter que les demandeurs détenteurs de diplômes ou de titres canadiens n’ont pas besoin de présenter une EDE à des fins d’immigration 38.
Cinq organismes et deux ordres professionnels ont été désignés par IRCC pour octroyer des EDE à des fins d’immigration :
Tout immigrant peut s’adresser à l’un de ces organismes afin de faire évaluer son diplôme, son certificat ou son titre de compétences en vue de l’obtention d’une EDE, moyennant des frais.
Il est important de noter que l’obtention d’une EDE pour un diplôme ou un titre de compétences ne signifie pas que ce même diplôme ou titre sera automatiquement reconnu par l’organisme de réglementation encadrant sa profession dans la province ou son territoire d’accueil du nouvel arrivant. Ainsi, l’obtention d’un EDE ne correspond pas à l’obtention d’un permis d’exercer une profession ou d’un titre réservé.
Il convient également de mentionner que l’immigration économique n’est que l’une des trois principales catégories d’immigration au Canada. En effet, en 2018, 186 352 personnes ont été admises au Canada dans le cadre d’un programme fédéral de la catégorie économique, soit 58 % du nombre total de résidents permanents admis cette année-là (321 035).
Les autres immigrants ont été admis au titre de la catégorie du regroupement familial (26,5 %), des réfugiés et personnes à protéger (14,3 %) et d’autres catégories d’immigration (1,2 %) 40. Comme un peu plus de 40 % des nouveaux arrivants au Canada sont admis au pays pour des motifs autres qu’économiques, des modifications apportées à la catégorie de l’immigration économique ne sauraient résoudre les problèmes liés à la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger d’un grand nombre d’immigrants. Tant qu’il existera d’autres catégories d’immigration, il sera nécessaire d’évaluer et de reconnaître les qualifications professionnelles des nouveaux arrivants au pays.
L’existence de différents paliers de gouvernement et les autres complexités propres à la situation politique canadienne ne permettent pas d’améliorer facilement les méthodes actuelles de reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger à l’échelle nationale.
Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont mis en place divers programmes visant à mieux renseigner les immigrants sur la reconnaissance de leurs qualifications professionnelles avant qu’ils émigrent, et à les aider dès leur arrivée au Canada. Le suivi de ces initiatives aidera à éclairer l’élaboration des futures politiques.
Finalement, comme un pourcentage élevé d’immigrants n’est pas choisi pour son potentiel économique, des pressions continueront de s’exercer pour que soient reconnues de manière plus juste les qualifications professionnelles acquises à l’étranger et que s’améliorent les perspectives économiques des nouveaux arrivants.
† Les études générales de la Bibliothèque du Parlement sont des analyses approfondies de questions stratégiques. Elles présentent notamment le contexte historique, des informations à jour et des références, et abordent souvent les questions avant même qu’elles deviennent actuelles. Les études générales sont préparées par le Service d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque, qui effectue des recherches et fournit des informations et des analyses aux parlementaires ainsi qu’aux comités du Sénat et de la Chambre des communes et aux associations parlementaires, et ce, de façon objective et impartiale. [ Retour au texte ]
* La présente publication est fondée sur Sandra Elgersma, Reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger des immigrants, publication no 2004-29, Bibliothèque du Parlement, 2 avril 2012.
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