Le projet de loi C-71 : Loi concernant la réglementation d’entreprises commerciales et industrielles exploitées sur des terres de réserve (ou Loi sur le développement commercial et industriel des Premières nations), a été présenté à la Chambre des communes le 2 novembre 2005. Il a été renvoyé pour deuxième lecture au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre le 18 novembre. Le Comité a déposé à nouveau le projet de loi à la Chambre sans amendement le 22 novembre, après une seule réunion portant sur le projet de loi, tenue le 21 novembre. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 23 novembre et a fait l’objet d’une première lecture au Sénat le même jour. Le 25 novembre, suite à une motion adoptée en vertu de l’article 38 du Règlement du Sénat(1), le projet de loi a passé l’étape de la deuxième lecture, a été discuté, a franchi l’étape de la troisième lecture, et a été adopté sans amendement. Il a reçu la sanction royale le même jour.
Le projet de loi permet aux communautés des Premières nations de demander au gouvernement du Canada de créer des règlements s’appliquant aux projets de développement commercial et industriel sur leurs terres de réserve.
Le développement économique est considéré comme un facteur déterminant pour améliorer le niveau de vie des Premières nations. Certaines activités qui permettraient d’améliorer le développement économique d’une communauté, comme des projets de développement commercial et industriel, rencontrent toutefois des obstacles liés à l’absence de cadre réglementaire pour de tels projets sur les terres de réserve. Cette lacune suscite de l’incertitude chez les investisseurs, ce qui peut les dissuader d’investir dans des projets sur les terres de réserve(2).
L’absence de cadre réglementaire tient surtout au fait que les règlements régissant le développement commercial et industriel sont provinciaux. En raison du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867,qui octroie au Parlement la compétence exclusive sur les « Indiens et les terres réservées aux Indiens », les lois et les règlements provinciaux portant sur le développement commercial et industriel ne s’appliquent pas aux terres de réserve. Dans certains cas, comme pour l’environnement, des règlements fédéraux sont en place, mais ils ne sont pas aussi complets que les règlements provinciaux. Dans d’autres cas, on observe une absence totale de règlements reliés aux opérations techniques propres à une industrie, par exemple la manière de se brancher sur un réseau électrique(3).
On croit que la plupart des Premières nations n’ont pas l’autorité nécessaire pour adopter des règlements permettant de combler cette lacune. Et celles qui ont cette autorité sont entravées par des formalités administratives fastidieuses(4).
Le projet de loi C-71, qui a été décrit comme une initiative dirigée par les Premières nations, a été élaboré en collaboration avec les Premières nations suivantes dans le but de combler les lacunes en matière de réglementation : Première nation de Squamish en Colombie-Britannique, Première nation de Fort McKay en Alberta, Première nation Tsuu T’ina en Alberta, Première nation Carry the Kettle en Saskatchewan et Première nation de Fort William en Ontario.
Le projet de loi C-71 comprend un préambule et 13 articles. Pour l’essentiel, il traite du pouvoir qu’a le gouverneur en conseil de promulguer, à la demande d’une Première nation, des règlements qui régiront des activités précises sur des terres de réserve.
Le préambule précise que les Premières nations prévoient l’implantation d’entreprises commerciales et industrielles sur les terres de réserve et qu’elles ont demandé au gouvernement du Canada d’établir des cadres réglementaires pour régir ces projets. Tout règlement pris en vertu de la présente loi le sera seulement à la demande d’une Première nation.
Le paragraphe 2(1) définit les termes suivants, utilisés dans le projet de loi : « ministre », « première nation » et « terres de réserve ».
Le paragraphe 3(1) précise que le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir toute entreprise commerciale ou industrielle située sur les terres de réserve. Ce règlement peut « conférer à toute personne ou tout organisme tout pouvoir, notamment législatif, administratif ou judiciaire, que le gouverneur en conseil juge nécessaire afin de régir efficacement les entreprises » (al. 3(2)b)). Un règlement peut également incorporer par renvoi des lois de la province (par. 3(3)).
Certains pouvoirs de réglementation renvoient aux lois provinciales où ils sont décrits. Par exemple, l’alinéa 3(2)c) prévoit qu’un règlement peut conférer les pouvoirs d’ordonner à quiconque de cesser tous travaux, de se conformer aux règlements ou de prendre toute mesure pour remédier aux conséquences découlant de toute contravention aux règlements, ou d’effectuer tous travaux jugés nécessaires et de prendre toute mesure de recouvrement du coût de ces travaux, dans des circonstances similaires et soumis à des conditions semblables à celles prévues en vertu des lois de la province. Il en va de même de l’alinéa 3(2)i), qui prévoit qu’un règlement peut conférer à quelqu’un le pouvoir de visiter et de perquisitionner tout lieu et d’examiner, de saisir et de retenir tout bien. D’autres pouvoirs de réglementation éventuels conférés par les lois provinciales comprennent la capacité d’établir des infractions punissables par procédure sommaire en cas de contravention aux règlements « lorsqu’un geste similaire constitue une infraction au droit de la province » (al. 3(2)g)), et la capacité de disposer que la contravention à toute disposition des règlements fasse l’objet d’une sanction administrative pécuniaire « lorsqu’un geste similaire fait l’objet d’une sanction similaire selon le droit de la province » (al. 3(2)h)).
Les règlements peuvent également :
L’article 5 précise que ces règlements ne peuvent être faits que si (1) le ministre reçoit du conseil de la Première nation une résolution lui demandant de le faire (al. 5a)), et si (2), dans le cas d’un règlement conférant des pouvoirs ou des attributions à des fonctionnaires ou organismes provinciaux, le ministre, la province et le conseil de la Première nation concluent un accord au sujet de l’administration et de la mise en œuvre du règlement par ces fonctionnaires ou organismes (al. 5b)).
Les articles 6 et 7 traitent des conflits de lois. L’article 6 prévoit que, sauf disposition contraire, les règlements pris en vertu de toute autre loi fédérale l’emportent sur tout règlement incompatible pris en vertu de l’article 3. L’article 7 dispose que, sauf disposition contraire, les règlements pris en vertu de l’article 3 l’emportent sur tout texte législatif ou règlement administratif incompatible pris par une Première nation.
L’article 8 prévoit que la Loi sur les textes réglementaires ne s’applique pas aux règlements pris en vertu de l’article 3. L’article 9 précise que pour l’application de la Loi sur les Cours fédérales, ni le fonctionnaire provincial ni l’organisme provincial qui exerce des attributions conférées par un règlement pris en vertu de l’article 3 ne constitue un office fédéral au sens de cette loi (par. 9(1)), et que l’exercice des pouvoirs législatifs provinciaux qui sont intégrés aux règlements par renvoi (prévu par le par. 3(3)) peut être revu par les cours provinciales ou faire l’objet d’un appel devant ces dernières.
L’article 10 prévoit que les sommes perçues par un fonctionnaire ou un organisme provincial en application d’un règlement ne constituent ni de l’argent des Indiens au sens de la Loi sur les Indiens, ni des fonds publics au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques.
L’alinéa 11a) prévoit que la Couronne bénéficie des mêmes limites de responsabilité, moyens de défense et immunités à l’égard des actes ou omissions en vertu des règlements qu’en vertu des lois de la province. L’alinéa 11b) prévoit que, sauf disposition contraire de ces règlements, la personne ou l’organisme exerçant ces attributions en vertu des règlements bénéficient des mêmes limites de responsabilité, moyens de défense et immunités que ceux dont ils bénéficieraient s’ils exerçaient celles-ci en vertu du droit de la province.
L’article 12 dispose qu’aucun recours civil ne peut être intenté et qu’aucune ordonnance, amende ou sanction pécuniaire contre la Couronne ne peut être imposée en ce qui concerne les terres de réserve.
L’article 13 prévoit que le projet de loi doit entrer en vigueur à la date fixée par décret.
Le projet de loi C-71 n’a eu pratiquement aucune couverture médiatique, peut-être en raison de la rapidité avec laquelle il a été adopté à la Chambre et au Sénat : une seule semaine s’est écoulée entre la deuxième lecture à la Chambre des communes et le jour de la sanction royale.
Le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes a entendu des témoins le 21 novembre 2005. Trois des cinq Premières nations participantes étaient représentées à la réunion : le chef Jim Boucher a témoigné pour la Première nation de Fort McKay, Peter Manywounds pour la Première nation de Tsuu T’ina et le conseiller Harold Calla, pour la Nation Squamish. La secrétaire parlementaire du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits, l’honorable Sue Barnes, a également témoigné avec des représentants du ministère de la Justice et du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Peter Manywounds a mentionné que d’autres approches pour combler l’absence de réglementation avaient été étudiées (comme des règlements administratifs de laLoi sur les Indiens), mais qu’aucune « ne répondait ou ne pouvait répondre aux besoins immédiats et pressants que le projet de loi va satisfaire »(5).
La question de la consultation des autres Premières nations a été soulevée par Bernard Cleary, député du Bloc Québécois(6). Peter Manywounds et Harold Calla ont expliqué que les consultations n’étaient pas la responsabilité du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, mais qu’elles avaient plutôt été menées par les Premières nations participantes à la demande de ces dernières. La publicité de l’Initiative sur le développement commercial et industriel des Premières nations comprenait des lettres et des trousses d’information qui ont été envoyées à tous les chefs des Premières nations. M. Manywounds a souligné que, pour une raison inconnue, il n’y avait pas eu de contact avec le Québec(7).
Le Comité de la Chambre des communes a entrepris l’étude du projet de loi article par article le jour même où les témoins ont été entendus. Pat Martin, député du Nouveau Parti démocratique, a proposé six amendements, qui ont tous été rejetés.
Puisque l’on s’attendait à ce que le Parlement soit dissous vers la fin de novembre, le projet de loi C‑71 n’a pas été renvoyé pour étude devant un comité sénatorial. Pour en accélérer l’adoption, le sénateur William Rompkey, leader adjoint du gouvernement au Sénat, a plutôt proposé :
Que, conformément à l’article 38 du Règlement, relativement aux projets de loi :
[…]
Projet de loi C-71, Loi concernant la réglementation d’entreprises commerciales et industrielles exploitées sur des terres de réserve;
au plus tard à 14 h 45 le vendredi 25 novembre 2005, le Président interrompe toutes les délibérations du Sénat et mette aux voix immédiatement et successivement toutes les questions nécessaires pour disposer de toutes les autres étapes des projets de loi susmentionnés sans autre débat, amendement ou ajournement, et qu’aucun vote sur lesdites questions soit reporté; et
Que, si un vote par appel nominal est demandé, le timbre d’appel des sénateurs sonne durant quinze minutes.
La motion a été adoptée. Au cours d’un débat abrégé, le fait que certaines Premières nations se soient inquiétées de ne pas avoir été consultées a été soulevé de nouveau. Le projet de loi C‑71 a néanmoins franchi l’étape de la troisième lecture et été adopté.
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