Le projet de loi C-30 : Loi sur le Tribunal des revendications particulières a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 27 novembre 2007 et a été renvoyé au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord après la deuxième lecture le 10 décembre. Il modifie le régime actuel de règlement des revendications particulières en constituant un tribunal composé de juges de juridiction supérieure qui ont compétence pour rendre des décisions exécutoires sur le bien-fondé des revendications et sur les indemnités à verser, jusqu’à concurrence de 150 millions de dollars par revendication. Il s’agit du deuxième projet de loi présenté au cours des cinq dernières années pour proposer le type de réforme qui est envisagé depuis longtemps par les Autochtones, le gouvernement, les autres parties intéressées et les observateurs. Le projet de loi a fait l’objet d’un examen approfondi au cours de 12 réunions tenues entre le 6 février et le 16 avril 2008 par le Comité permanent de la Chambre, qui l’a adopté avec deux amendements de l’opposition le 30 avril. Le 13 mai, il a été adopté sans autre modification par la Chambre et déposé au Sénat, où il a été adopté le 12 juin, et il a reçu la sanction royale le 18 juin.
Depuis le début des années 1970, les politiques fédérales établissent deux grandes catégories de « revendications » autochtones et les mesures à prendre pour les régler. Les revendications globales visent des titres ancestraux non éteints relatifs à des terres et à des ressources. Les revendications particulières, quant à elles, sont des griefs adressés au Canada pour avoir omis d’exécuter des obligations envers des groupes de Premières nations (appelés « bandes » dans la Loi sur les Indiens) sous certaines rubriques. Nous esquissons ci-après le contexte de la réforme du régime de règlement des revendications particulières proposée par le projet de loi C-30(1).
Pendant une bonne partie du XXe siècle, le gouvernement ne s’est presque pas occupé des allégations selon lesquelles le Canada n’exécutait pas certaines de ses obligations envers les Premières nations. De 1927 à 1951, la Loi sur les Indiens interdisait aux bandes d’utiliser leur argent pour financer la présentation de revendications contre le gouvernement. En 1947, un comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes, constitué pour étudier la Loi sur les Indiens et d’autres questions autochtones, a recommandé notamment la création immédiate d’une « commission de revendications » « pour faire enquête […] sur les clauses de tous les traités conclus avec les Indiens […] et pour évaluer et régler de façon juste et équitable toutes revendications ou tous griefs qui en découlent »(2). Le comité mixte des affaires indiennes de 1959 à 1961 a aussi préconisé la création d’une commission des revendications autochtones pour entendre les questions territoriales de la Colombie-Britannique et d’Oka, de même que d’autres affaires(3).
En 1963 et en 1965, le gouvernement libéral, reprenant un projet de mesure législative du gouvernement conservateur qui l’avait précédé, a présenté un projet de loi prévoyant le règlement des revendications des Indiens (projets de loi C-130 et C-123). Le texte de loi aurait, entre autres, établi une commission composée de cinq membres habilitée à rendre des décisions exécutoires concernant cinq grandes catégories de revendications(4) et ayant le pouvoir d’accorder des indemnités pécuniaires – sans plafond prévu par la loi – et de verser une aide financière aux revendicateurs pour la préparation de leur dossier. Le projet de loi C-123 est mort au Feuilleton à l’automne 1965 et n’a jamais été présenté à nouveau.
En 1969, le gouvernement libéral a fait paraître un livre blanc controversé sur la politique indienne, qu’il a retiré par la suite(5). Ce livre blanc proposait l’abrogation de la Loi sur les Indiens et la fin du statut juridique distinct d’Indien, tout en reconnaissant l’existence de certaines obligations restreintes du gouvernement envers les Indiens. Un commissaire aux revendications indiennes a alors été nommé pour étudier les revendications et faire des recommandations sur le règlement de griefs particuliers. Ce poste a existé de 1969 à 1977. Les Premières nations ont contesté son mandat trop restreint et, à leur avis, peu utile.
Dans l’arrêt Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique(6) qu’elle a rendu en 1973, la Cour suprême du Canada a confirmé que l’occupation de longue date du territoire par les Autochtones a fait naître des droits sur le territoire qui ont continué d’exister après l’établissement des Européens. Cet arrêt a amené le gouvernement fédéral non seulement à instituer pour la première fois une procédure pour négocier le règlement des revendications territoriales globales, mais aussi à créer de nouvelles procédures pour régler les revendications particulières(7).
En 1974, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) s’est doté du Bureau des revendications des autochtones (BRA) et lui a confié un double rôle : étudier les revendications autochtones concernant la non-exécution des obligations légales du gouvernement et représenter le gouvernement dans les négociations avec les Premières nations. En 1979, une étude réalisée pour le BRA a fait part d’une situation courante, où un organisme gouvernemental exerce des fonctions incompatibles relativement aux revendications autochtones, et a conclu que l’impartialité, l’apparence d’impartialité et l’irrévocabilité plaidaient vigoureusement pour la constitution d’un organisme indépendant, extérieur à la structure ministérielle, chargé du règlement des revendications particulières(8).
En 1982, reconnaissant que sa politique en matière de revendications particulières laissait à désirer(9), le gouvernement fédéral a publié Dossier en souffrance – Une politique des revendications des autochtones – Revendications particulières(10). Cette politique obligeait les revendicateurs à prouver l’existence d’une des quatre « obligations légales » en souffrance(11) ou d’un des deux problèmes se rapportant aux réserves(12). La procédure d’évaluation des revendications comprenait un examen par le BRA, un avis juridique du ministère fédéral de la Justice, l’approbation ou le rejet de la revendication par le Ministre, puis la négociation du règlement définitif des revendications acceptées. Enfin, Dossier en souffrance énonçait les directives pour la présentation des revendications et les critères généraux régissant l’indemnisation, qui ne comportait aucun plafond pécuniaire.
Les Premières nations et d’autres groupes ont dénoncé ces mesures et leur mise en application. Ils s’opposaient avant tout au fait que le gouvernement fédéral continuait d’être partie à la procédure de règlement des revendications, ce qui avait l’apparence d’un conflit d’intérêts intrinsèque. En 1983, le rapport Penner sur l’autonomie politique des Indiens a abordé la question des revendications, y compris le modèle de 1982, et a recommandé fermement d’établir une nouvelle politique sur le règlement des revendications, le processus devant être confirmé par une loi après avoir été négocié par le gouvernement fédéral et des représentants des Premières nations. Le rapport proposait que la loi adoptée prévoie à la fois une partie neutre qui faciliterait la négociation d’un règlement et une procédure quasi judiciaire pour les cas où la négociation échouerait(13).
Dans un rapport présenté en 1990, le Comité permanent des affaires autochtones de la Chambre des communes a signalé, sans faire de recommandations précises, que « le mécontentement demeure très grand » au sujet des politiques sur les revendications, que le traitement des revendications est d’une « extrême lenteur » et que « selon l’une des critiques souvent réitérées, le processus de règlement […] devrait être administré ou surveillé par un ou plusieurs organismes sans lien avec les ministères des Affaires indiennes et de la Justice »(14).
En 1986, la revendication particulière des Mohawks de Kanesatake a été rejetée. En 1990, une partie du territoire revendiqué a été au cœur d’un différend avec la municipalité voisine d’Oka. La crise de l’été 1990 a relancé le mouvement pour une réforme du régime de règlement des revendications et a permis d’évaluer la réceptivité du gouvernement.
Le Comité des chefs sur les revendications de l’Assemblée des Premières Nations (APN) a réalisé en décembre 1990, à la demande du ministre des Affaires indiennes (le ministre), une étude dans laquelle il recommandait de réformer fondamentalement la politique générale sur les revendications(15), notamment en formant un groupe de travail mixte APN-MAINC qui serait chargé d’établir un mécanisme indépendant de règlement des revendications(16). Au nombre des initiatives annoncées ultérieurement, en avril 1991(17), par le Premier ministre d’alors, Brian Mulroney, figurait la création d’un groupe de travail mixte chargé de réviser la politique de règlement des revendications particulières et, comme mesure provisoire, la création d’une commission des revendications particulières des Autochtones qui servirait de mécanisme indépendant de règlement des différends.
La Commission des revendications des Indiens (CRI) a été constituée par décret(18) sous le régime de la partie I de la Loi sur les enquêtes, à titre d’organisme consultatif indépendant et temporaire, six commissaires étant chargés d’étudier les revendications particulières rejetées par le gouvernement et de rendre des décisions non exécutoires(19). Dans les années qui ont suivi, ce mandat restreint et l’impression que le gouvernement ne donnait pas suite aux recommandations de la CRI ont frustré tant les commissaires que les revendicateurs.
Dans son rapport annuel de 2000-2001(20), la CRI a fait observer que le règlement des revendications particulières demeurait « désagréablement lent » et « dans une impasse ». Les commissaires réclamaient une augmentation des ressources et des fonds fédéraux pour améliorer la situation et réitéraient leur opinion de longue date sur la « nécessité pressante de créer un organisme indépendant d’examen des revendications » qui « éliminerait l’engorgement […] et [ferait avancer le règlement de] centaines de revendications territoriales actuelles et futures des Premières Nations »(21).
Le Rapport 2001-2002 de la CRI(22) exhortait le gouvernement à l’action : « La mise sur pied d’un organisme indépendant d’examen des revendications s’impose de toute urgence afin d’assurer la justice et l’équité du régime des revendications territoriales particulières. La création d’un tel organisme serait dans le meilleur intérêt non seulement des Premières Nations, mais aussi de l’ensemble des Canadiens ».
Dans son rapport final publié en 1996, la CRPA a souligné qu’il fallait modifier la structure de règlement des revendications territoriales des Autochtones. Elle recommandait notamment l’adoption d’une loi fédérale constituant un tribunal indépendant des traités et des terres autochtones pour remplacer la CRI et, relativement aux revendications particulières, pour réexaminer l’aide financière fédérale aux revendicateurs, contrôler les négociations, rendre des ordonnances exécutoires et statuer sur les revendications qui lui sont présentées, en accordant une réparation s’il y a lieu(23).
En 1992, le Canada et l’APN ont convenu d’examiner simultanément la politique des revendications particulières et le mécanisme de règlement en vue de présenter des recommandations de réforme. Le Groupe de travail n’est pas arrivé à un consensus sur toutes les questions avant l’échéance de son mandat en 1993, mais il y est arrivé en ce qui concerne la nécessité d’implanter un mécanisme indépendant, comme l’ont montré les projets de recommandation sur l’adoption d’une loi créant un organe indépendant pour le règlement des revendications.
En 1996, un second groupe de travail mixte Premières Nations-Canada (GTM) a commencé à étudier la structure et la compétence d’un tel organisme. Le rapport de 1998 du GTM(24) comportait un projet de loi type visant à modifier le mécanisme de règlement des revendications particulières, dont certaines dispositions clés consistaient à :
En vertu du projet de loi type du GTM, seules les personnes recommandées à la fois par l’APN et le ministre avaient la possibilité d’être nommées à l’un des deux organismes proposés.
La création d’une forme d’organe indépendant pour le règlement des revendications, doté de pouvoirs plus étendus, faisait partie du programme du gouvernement libéral depuis le Livre rouge de la campagne électorale de 1993(25). En mai 2000, après avoir étudié une proposition du gouvernement fédéral comportant certaines caractéristiques du modèle proposé par le GTM en 1998, le comité exécutif de l’APN a manifesté de l’inquiétude en constatant des différences marquées, notamment le plafonnement à 5 millions de dollars des indemnités accordées par le tribunal(26) et les nominations décidées par le fédéral au lieu d’une prise de décision conjointe. Des discussions mixtes d’ordre technique sur la proposition fédérale ont eu lieu pendant la période qui a suivi.
Le projet de loi C-6 : Loi sur le règlement des revendications particulières a été présenté à la Chambre des communes en octobre 2002(28). Il visait à modifier le mécanisme de règlement des revendications particulières en vigueur en constituant un nouvel organe administratif composé d’une commission qui faciliterait la négociation des revendications et le règlement des différends et d’un tribunal ayant le pouvoir de rendre des décisions exécutoires sur le bien-fondé des revendications et sur l’octroi d’indemnités, jusqu’à concurrence de 10 millions de dollars par revendication. Il conférait au gouvernement la compétence exclusive en matière de nomination.
Le ministre de l’époque avait affirmé que le mécanisme simplifié proposé pour le règlement des revendications améliorerait le développement économique des Premières nations et que la commission et le tribunal seraient des organes neutres et indépendants(29), mais l’APN et d’autres intéressés trouvaient problématiques plusieurs aspects du projet de loi(30). En juillet 2002, l’Assemblée générale annuelle de l’APN a adopté une résolution d’opposition au projet de loi parce qu’elle était d’avis, entre autres, qu’il ne rendrait pas le mécanisme plus juste, plus efficace ou plus transparent, qu’il divergeait grandement des propositions du GTM et qu’il créerait un mécanisme de règlement pire que le régime en vigueur(31). Les membres des Premières nations issus des différentes régions du pays qui ont témoigné aux audiences des comités de la Chambre et du Sénat ont unanimement exprimé des préoccupations semblables(32).
Adopté par la Chambre et le Sénat en mars et en octobre 2003 respectivement, le projet de loi C-6 a reçu la sanction royale en novembre 2003. Bien qu’édictée en bonne et due forme(33), cette loi n’est jamais entrée en vigueur.
À l’automne 2005, le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes a entrepris une étude sur le mécanisme de règlement des revendications particulières(34), au cours de laquelle les représentants du MAINC et du ministère de la Justice, le commissaire aux revendications des Indiens, les négociateurs et le conseiller juridique représentant les revendicateurs des Premières nations ont exprimé des préoccupations très diverses. Les témoins déploraient particulièrement les retards excessifs tout au long du processus, ainsi que le nombre croissant de revendications non résolues, le manque général de ressources et les rôles conflictuels du gouvernement dans le processus(35). Plusieurs témoins ont fait valoir qu’il importait de ne pas dévier de l’objectif du régime de règlement des revendications particulières, qui est de régler les griefs des Premières nations présentés contre la Couronne fédérale pour manquement à ses obligations légales.
Le Comité n’a pas terminé son étude à cause de la dissolution du Parlement en novembre 2005. Toutefois, en mai 2006, le Sénat a autorisé le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones à entreprendre une vaste étude sur la politique et le mécanisme de règlement des revendications particulières. De juin à novembre 2006, des membres des Premières nations et d’autres témoins de toutes les régions, se faisant l’écho des témoignages entendus par le Comité de la Chambre, ont mis en relief les lacunes sérieuses du régime existant et leur énorme frustration à son égard. Dans son rapport final, le Comité a fait état de leurs préoccupations, signalant que la plupart des témoins préconisaient « [l’]établissement d’un organisme indépendant chargé de régler les revendications particulières au moyen d’un effort concerté des Premières nations et du Canada », ainsi que l’amélioration des procédures du MAINC et du ministère de la Justice et l’augmentation des ressources affectées au règlement des revendications particulières(36). Le Comité a donc recommandé entre autres d’accroître les fonds servant au règlement des revendications; de créer conjointement un organisme indépendant habilité à régler les revendications; d’abroger le projet de loi C-6; d’affecter des ressources financières et humaines additionnelles au MAINC et au ministère de la Justice en vue d’améliorer le mécanisme de règlement, de même qu’aux groupes de revendicateurs pour les aider dans leurs recherches sur les revendications.
Le 12 juin 2007, le Premier ministre, accompagné du chef national de l’APN, a annoncé un plan d’action visant à réformer le régime de règlement des revendications particulières et à régler le nombre croissant de revendications en suspens. Faisant écho aux recommandations du Comité sénatorial, le Plan d’action proposait pour l’essentiel de créer un tribunal « au sein duquel des juges impartiaux régleront les revendications lorsque les négociations sont dans une impasse »; de « mettre de côté 250 millions de dollars par an pour la prochaine décennie afin de financer le règlement des revendications »; d’améliorer le traitement des revendications; et d’améliorer le mécanisme actuel de règlement des différends de la Commission des revendications des Indiens. Le Plan prévoyait la tenue de discussions entre les représentants des gouvernements et les dirigeants des Premières nations, qui feraient suite aux travaux conjoints antérieurs et viseraient à établir un projet de loi en vue d’une adoption rapide et à modifier le rôle de la Commission(37).
Par conséquent, le projet de loi C-30 est le résultat des efforts du groupe de travail Canada-APN formé pour étudier la proposition gouvernementale de nouveau projet de loi sur les revendications particulières(38). Le projet de loi a été déposé le 27 novembre 2007 en même temps qu’était rendu public un accord politique entre le MAINC et l’APN, qui avait pour but de favoriser d’autres discussions sur des points non traités par le projet de loi(39).
Le projet de loi sur le Tribunal des revendications particulières (projet de loi C-30) se compose d’un préambule, de 53 articles et d’une annexe. Le présent document passe en revue ses principales dispositions en les comparant, dans les cas pertinents avec des points semblables ou divergents de la Loi sur le règlement des revendications particulières de 2003 (projet de loi C-6), du rapport de 1998 du GTM et de son projet de loi type dans les cas pertinents. Les dispositions qui sont apparentées peuvent être analysées ensemble plutôt que dans l’ordre numérique, d’où la possibilité d’un certain chevauchement.
Le préambule est une mesure d’interprétation qui sert à situer le texte de loi en contexte et à donner sa raison d’être. Dans le projet de loi C-30, le préambule, qui précède les dispositions introductives, affirme entre autres la nécessité de constituer un tribunal indépendant capable de statuer sur les revendications dans les meilleurs délais et le droit des Premières nations d’avoir accès à ce tribunal. Il présente aussi le projet de loi comme le fruit d’une collaboration entre le gouvernement et l’APN.
Selon les définitions du projet de loi (art. 2),
Le projet de loi C-30 a pour objet de constituer le Tribunal des revendications particulières (le Tribunal), chargé de statuer sur le bien-fondé des revendications et sur les indemnités afférentes (art. 3). Il précise que la loi l’emporte en cas d’incompatibilité ou de conflit avec une autre loi fédérale (art. 4) et qu’elle « n’a d’effet sur les droits de la première nation que si celle-ci choisit de saisir le Tribunal d’une revendication particulière » et que dans la mesure qui y est expressément prévue (art. 5). La disposition de l’article 4 est courante dans les lois qui ratifient des accords sur les revendications territoriales globales garantis par la Constitution; la raison d’être de son utilisation dans ce contexte n’est pas claire. L’article 5 ne définit pas le terme « droits ». Il établit une distinction implicite entre la présentation d’une revendication auprès du ministre, qui n’est pas une instance décisionnelle, et auprès du Tribunal, par définition une instance décisionnelle à qui une Première nation peut choisir ou non de s’en remettre si elle répond aux exigences énoncées dans le projet de loi.
À l’instar du projet de loi C-6, le projet de loi C-30 ne renferme pas de disposition de « non-dérogation » selon laquelle la loi ne porte pas atteinte aux droits ancestraux, comme le recommandait le GTM dans son projet de loi type.
L’article 6 constitue le Tribunal des revendications particulières, formé d’au plus six membres à temps plein – ou d’une combinaison de membres à temps plein et à temps partiel qui consacrent un temps équivalent – choisis à partir d’une liste de six à dix-huit juges de juridiction supérieure. Les membres sont nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois (art. 7). La règle voulant que le Tribunal se compose de juges « relevant de l’article 96 »(42) diffère nettement de la règle d’admissibilité du projet de loi C-6, qui exigeait seulement que la majorité des membres nommés à l’organisme quasi judiciaire soient inscrits au barreau d’une province.
Le gouverneur en conseil établit la liste des juges et nomme aussi les membres du Tribunal à partir de cette liste. L’absence de processus de nomination conjoint est devenue l’une des principales raisons pour lesquelles les porte-parole des Premières nations s’opposaient au projet de loi C-6 en 2003; ce mode de nomination diffère aussi de celui proposé dans le projet de loi type du GTM de 1998, qui rendait la nomination tributaire d’une recommandation conjointe de l’APN et du ministre(43). L’Accord politique entre le MAINC et l’APN prescrit que « [l]e chef national participera au processus de recommandation des membres du Tribunal ». Il ne définit pas la nature ou l’étendue de la participation, ce qui soulève la question de savoir pourquoi on a adopté cette formule au lieu d’intégrer dans la loi la participation des Premières nations au processus de nomination. En 2003, le projet de loi C-6 exigeait que le ministre permette aux revendicateurs de présenter des observations sur les nominations, mais pas qu’il réponde à ces observations.
Le projet de loi C-30 ne précise pas comment le président du Tribunal est choisi parmi les membres nommés. Il indique toutefois que le président contrôle les activités du Tribunal et de ses membres et qu’il exerce le pouvoir exclusif, à la demande d’une partie, d’ordonner la façon de traiter certaines revendications. Il peut ainsi ordonner que des revendications particulières qui ont certains points de fait ou de droit en commun soient entendues ensemble; que des revendications distinctes soient visées par une seule indemnité maximale; que des revendications soient tranchées ensemble, soit pour éviter des décisions incompatibles, soit parce qu’elles sont visées par une seule indemnité maximale (art. 8). Bien que le texte ne le mentionne pas expressément, il semble que, dans n’importe lequel de ces cas, les revendications en cause peuvent être présentées par le même revendicateur ou par différents revendicateurs(44).
Le Tribunal a pour fonction première de tenir des audiences, à un seul membre, en vue de statuer sur le bien-fondé des revendications particulières et sur les indemnités afférentes (art. 11). Un comité constitué de membres « peut » établir des règles pour régir les procédures et les activités du Tribunal – et peut mettre sur pied un comité de personnes intéressées ayant pour rôle de le conseiller sur l’établissement des règles (par. 12(2))(45) – en ce qui concerne, par exemple, l’envoi d’avis, la présentation d’arguments, l’assignation des témoins, la production de documents, la présentation des éléments de preuve, « la fixation de délais » et les dépens (par. 12(1)). Ces éléments sont essentiellement les mêmes que ceux prévus dans le projet de loi C-6 et dans le projet de loi type du GTM, sauf pour un ajout notable, la gestion de cas, qui est habituellement régie par des procédures dans les juridictions supérieures. Fait à noter, le projet de loi type du GTM prévoyait que les règles visant la fixation de délais portent expressément sur « les délais d’audition et de prise de décisions », alors que le projet de loi C-30 ne précise pas les activités pouvant être régies par les règles du Tribunal à ce sujet. Le projet de loi ne fixe aucun délai non plus pour l’exercice des fonctions du Tribunal, en particulier celles énoncées par le GTM.
Au sujet des pouvoirs du Tribunal, le projet de loi C-30 les décrit en termes généraux comme les attributions d’une cour supérieure pour les témoins, les documents, l’exécution des décisions « ainsi que pour toutes autres questions liées à l’exercice de sa compétence ». Alors que les pouvoirs des formations prévues dans le projet de loi C-6 étaient définis de façon exhaustive, les pouvoirs conférés au Tribunal par le projet de loi C-30, étant ceux d’une juridiction supérieure, sont assurément plus étendus que les exemples énumérés à l’article 13, à savoir : trancher des points de droit ou de fait (al. a)), recevoir les éléments de preuve (al. b)), adjuger les dépens (al. d)) et, ce qui est propre aux revendications particulières, tenir compte de la diversité culturelle dans l’application des règles (al. c)). L’article 13 précise également que les dépens adjugés à un revendicateur sont réduits de la somme que celui-ci a reçue de la Couronne pour pouvoir saisir le Tribunal de sa revendication.
Aux termes du projet de loi C-30, une Première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication « en vue d’être indemnisée des pertes » résultant de l’un ou l’autre des six motifs énoncés, qui touchent la violation ou l’inexécution d’une obligation légale ou des transactions viciées concernant les terres d’une réserve. Les revendications admissibles énoncées à l’article 14 sont généralement les mêmes que celles établies en 1982 dans Dossier en souffrance(46) et énumérées dans le projet de loi C-6 et le projet de loi type du GTM, mais il existe des exceptions.
Le projet de loi C-30 rétrécit le champ des revendications admissibles fondées sur la violation ou l’inexécution d’obligations fiduciaires, qui étaient plus largement reconnues, à la fois dans le projet de loi C-6 et dans le projet de loi type du GTM, comme faisant partie des obligations légales dont la violation ou l’inexécution pourrait être en cause dans plus d’une catégorie de revendications particulières(47). Le projet de loi précise que non seulement l’administration de terres d’une réserve, mais aussi la fourniture de ces terres peut donner lieu à la violation d’une obligation légale, « notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale » (al. 14(1)c)). Le Comité des affaires autochtones de la Chambre des communes a amendé la disposition pour faire en sorte que le motif comprenne aussi les circonstances historiques qui ont pu se produire dans certaines régions concernant la non-fourniture de terres d’une réserve. La raison pour laquelle cette question est la seule obligation légale de nature potentiellement fiduciaire reconnue explicitement par l’article 14 n’est pas claire(48). Dans le projet de loi type du GTM, la violation d’une obligation légale découlant d’un engagement unilatéral de la part de la Couronne n’était qu’un des cas pouvant donner lieu à des obligations fiduciaires.
Le projet de loi C-30 reconnaît expressément la situation concrète voulant que des revendications légitimes puissent être fondées sur le caractère inadéquat de la compensation reçue pour la prise ou l’endommagement de terres d’une réserve par la Couronne en vertu d’un pouvoir légal, plutôt que sur l’absence de compensation (al. 14(1)e)).
Il apporte des modifications aux motifs traditionnels, comme le projet de loi C-6. À l’avenir, une revendication fondée sur l’inexécution d’une obligation légale créée par un traité ou un accord devra être « liée à la fourniture d’une terre ou de tout autre élément d’actif » (al. 14(1)a))(49). Bien que la plupart des revendications particulières liées à des traités que mentionne la documentation du MAINC concernent des terres, cet ajout pourrait avoir pour conséquence de faire obstacle à l’avenir aux revendications particulières fondées sur des clauses de traité qui sont sans rapport avec les terres et tout autre « élément d’actif »(50). De plus, compte tenu de la location fréquente des terres des Premières nations, la location illégale de terres d’une réserve est ajoutée au motif lié à la disposition illégale de ces terres (al. 14(1)d)).
Le projet de loi C-30 énumère aussi les catégories de revendications qui ne peuvent pas être déposées; ce sont les revendications :
À l’exception d’un ajout concernant les droits ancestraux, ces exclusions sont identiques à celles que prévoyait le projet de loi C-6(51). La raison pour laquelle le législateur exclut les revendications concernant la prestation ou le financement de programmes publics ou encore des événements du passé récent n’est pas claire. Dans ce dernier cas, le délai de 15 ans reflète probablement la pratique du ministère, bien qu’aucune politique en ce sens ne soit expressément énoncée dans Dossier en souffrance. L’exclusion des revendications visant des droits conférés par traité s’explique par la portée expressément limitée que l’alinéa 14(1)a) donne aux revendications mettant en cause des traités; la défense de ce type de cause nécessite donc une tribune différente.
L’exclusion des revendications particulières alléguant l’existence d’un titre ancestral va dans le sens de la politique fédérale énoncée dans Dossier en souffrance et d’autres documents, qui considèrent le titre ancestral comme un sujet de revendication globale. La question des droits ancestraux rattachés à un lieu déterminé, c’est-à-dire ceux qui ne relèvent d’aucun titre comme tel, est abordée dans le rapport de 1998 du GTM, qui note que les Premières nations estiment être « susceptibles d’encourir des dommages en raison de la transgression de ces droits, et pourtant, elles n’ont pas accès à la négociation des revendications globales […] il s’agit d’obligations en droit, tout autant que dans le cas des autres revendications particulières ». Le projet de loi type du GTM autorisait la Commission à traiter une revendication fondée sur des droits ou titres ancestraux avec le consentement des parties et autorisait également toutes les revendications liées à des traités.
Il y a lieu de signaler que l’Accord politique d’origine non législative conclu entre le MAINC et l’APN en novembre 2007 énumère des revendications exclues par le projet de loi C-30 parmi les questions à l’égard desquelles les deux organismes « sont déterminés à travailler ensemble afin d’appuyer les travaux actuels ».
Outre les exclusions énoncées pour des motifs fondamentaux, le projet de loi interdit le dépôt d’une revendication 1) lorsque les mêmes éléments d’actif – y compris des terres – ou les mêmes faits font l’objet d’une instance toujours en cours à laquelle la Couronne et la Première nation sont parties devant une juridiction autre que le Tribunal et 2) lorsque cette instance est susceptible de donner lieu à une décision incompatible (par. 15(3)). De même, une revendication ne sera pas maintenue si, au cours du processus prévu par le projet de loi, le revendicateur introduit une telle instance, fait un nouvel acte de procédure dans cette instance ou ne maintient pas la suspension (art. 37). Sont aussi exclues les revendications pour lesquelles aucune indemnité n’est demandée, la réparation recherchée n’est pas pécuniaire ou l’indemnité maximale de 150 millions de dollars(52) est dépassée (par. 15(4)).
En vertu du projet de loi C-30, une Première nation ne peut saisir directement le Tribunal d’une revendication particulière, et le dépôt se fait uniquement aux conditions prescrites. Elle doit d’abord déposer la revendication auprès du ministre (par. 16(1)) sous la forme définie et avec le contenu établi (par. 16(2) et (3)). Elle ne peut ensuite saisir le Tribunal de sa revendication que si :
Il ressort du projet de loi que la décision de négocier le règlement d’une revendication appartient au ministre. Le texte de loi accorde trois ans au ministre pour trancher la question et, si la décision est favorable, une autre période de trois ans pour mener à terme la négociation du règlement. Dans certains cas, il est donc possible qu’une Première nation qui a une revendication légitime se voie empêcher, en l’absence de consentement ministériel, de faire des démarches auprès du Tribunal dans les six ans suivant le dépôt de sa revendication auprès du ministre. Comme nous l’indiquons ci-dessus, le projet de loi ne soumet les activités du Tribunal à aucune limite de temps.
Par ailleurs, les dispositions transitoires du projet de loi portent sur le traitement administratif des revendications particulières 1) présentées ou 2) en cours de négociation avant l’entrée en vigueur de la loi, aux fins de l’application du délai prévu à l’article 16 pour le dépôt des revendications auprès du Tribunal. Les premières sont réputées avoir été déposées à la date d’entrée en vigueur de la loi et, dans le cas des secondes, le ministre est réputé avoir avisé le revendicateur de son acceptation de négocier à la même date (par. 42(1)). Par conséquent, dans les six mois suivant cette date, le ministre est tenu d’examiner chacune des revendications – sauf celles visées par le refus de négocier – et d’informer le revendicateur de la date effective du dépôt ou de l’acceptation du ministre de négocier (par. 42(2))(53). L’effet concret de l’article 42 est de ramener le compteur de l’article 16 à zéro pour toutes les revendications actives, peu importe la date de dépôt ou d’acceptation de négocier préalable à l’entrée en vigueur de la loi.
Les revendicateurs informés du refus de négocier avant l’entrée en vigueur de la loi ne peuvent saisir le Tribunal de leur revendication en vertu de l’article 16 en se fondant sur cette décision, mais peuvent déposer la même revendication auprès du ministre après l’entrée en vigueur de la loi (art. 43). Les raisons pour lesquelles le législateur retarde l’accès de ces revendicateurs au Tribunal ne sont pas claires.
Il ne semble pas que l’article 43 ait pour objet d’« englober » les revendications déjà saisies ou traitées par la Commission des revendications des Indiens à la suite d’un refus de négocier. Ni le projet de loi ni l’Accord politique ne font expressément état du traitement de ces revendications pendant la période de transition ou ne mentionnent la Commission(54).
Les dispositions qui figurent sous cette rubrique ressemblent à celles du projet de loi C-6. Le projet de loi C-30 autorise le Tribunal à tenir audience aux date, heure et lieu de son choix (art. 18) et « de la façon qu’il estime indiquée » (art. 26). Les audiences sont publiques, sauf si le Tribunal est convaincu que le besoin de confidentialité l’emporte sur l’intérêt public (art. 27). Sur demande d’une partie, le Tribunal peut, à tout moment, ordonner la radiation de tout ou partie d’une revendication pour l’un ou l’autre des motifs prévus (art. 17)(55).
Le projet de loi C-6 considérait la décision sur le bien-fondé d’une revendication et celle portant sur l’indemnisation comme des processus distincts. Le projet de loi C-30 n’indique pas si les audiences du Tribunal traiteront ces deux questions en même temps ou si, par suite d’une décision favorable sur le bien-fondé, le revendicateur devra entamer des négociations avec le ministre au sujet de l’indemnité(56).
Comme c’était le cas pour le projet de loi C-6, le Tribunal, lorsqu’il statue sur le bien-fondé d’une revendication particulière, ne tient compte d’aucune règle ou théorie qui limiterait un recours en raison de l’écoulement du temps ou d’un retard. Sous réserve de cette disposition, la Couronne peut faire valoir devant le Tribunal tout moyen de défense qui serait à sa disposition dans des poursuites judiciaires (art. 29)(57).
Aux termes du paragraphe 20(1), le Tribunal, lorsqu’il statue sur la question de l’indemnité, ne peut accorder qu’une indemnité pécuniaire (al. a)), qui ne doit pas dépasser 150 millions de dollars par indemnité (al. b))(58) et ne peut consister en des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs (al. d)). Dans tous les cas, la norme de la « juste indemnité » s’applique (al. c)). Aux fins de l’indemnité maximale, le Tribunal considère comme une seule revendication les revendications particulières qui sont fondées sur les mêmes faits, qu’elles aient été présentées par le même revendicateur ou par des revendicateurs différents et, dans le cas de revendicateurs différents, qui sont fondées sur les mêmes faits et portent sur les mêmes éléments d’actif (par. 20(4))(59).
En outre, dans le cas où il estime qu’un tiers est, en tout ou en partie, à l’origine des pertes du revendicateur, le Tribunal ne doit accorder une indemnité à la charge de la Couronne que dans la mesure où ces pertes sont attribuables à la faute de celle-ci (al. 20(1)i)). S’il estime qu’une province qui a la qualité de partie(60) est, en tout ou en partie, à l’origine des pertes du revendicateur, il peut accorder une indemnité à la charge de la province dans la mesure où les pertes sont attribuables à la faute de celle-ci (par. 20(6)).
Le projet de loi C-30 énonce aussi les modalités du calcul de l’indemnité pour les différentes catégories de revendications (al. 20(1)d) à h)). Par exemple, dans le cas où le revendicateur a établi qu’une indemnité inadéquate lui a été accordée dans le passé pour des terres prises par autorisation égale, le Tribunal « accorde une indemnité, égale à la valeur marchande de ces terres au moment où elles ont été prises ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques » (al. e)). Si le revendicateur établit que les terres visées par la revendication n’ont jamais été cédées légalement, le Tribunal « accorde une indemnité, égale à la valeur marchande de ces terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps » (al. g)). De plus, le Tribunal doit, dans le calcul de l’indemnité, déduire la valeur actuelle de tout avantage « reçu par le revendicateur à l’égard de l’objet de la revendication particulière » (par. 20(3)). Le contexte précis que cette disposition semble viser n’est pas clair.
Aux termes du projet de loi C-30, comme du projet de loi C-6, la Couronne peut payer l’indemnité en versements échelonnés dans les cinq ans suivant la date de la décision du Tribunal (par. 36(1))(61).
Comme le projet de loi C-6, le projet de loi C-30 renferme une disposition spéciale pour l’octroi d’une indemnité en raison de la disposition illégale de terres de réserve. Il prévoit en effet que, si une indemnité est accordée pour les pertes subies par une Première nation en raison de la disposition illégale de tous ses droits et intérêts sur des terres, sans que ces droits et intérêts lui aient été restitués, ceux-ci sont « abandonnés »(62). En l’occurrence, le revendicateur conserve le droit de poursuivre une province qui n’était pas partie à l’instance (par. 21(1)). Dans le cas d’une indemnité accordée en raison de la disposition illégale d’une partie des intérêts sur des terres de réserve, la personne qui, si la disposition avait été légale, aurait eu cette partie des intérêts est réputée l’avoir eue (par. 21(2))(63).
Voici d’autres dispositions du projet de loi applicables à la procédure du Tribunal :
Aux termes du projet de loi C-30, les décisions du Tribunal peuvent faire l’objet d’une révision judiciaire de la Cour d’appel fédérale(66) au titre de la Loi sur les Cours fédérales(67) (par. 34(1)). Contrairement à un appel, la révision judiciaire n’autorise pas le juge à modifier la décision contestée. Il doit plutôt, s’il arrive à la conclusion, après avoir appliqué les critères de droit établis, que cette décision est viciée, annuler celle-ci et renvoyer l’affaire au Tribunal, qui l’étudiera de nouveau.
Les décisions du Tribunal ne sont pas susceptibles de révision, « sont définitives et ont l’autorité de la chose jugée entre les parties dans tout recours pris devant une autre juridiction » et découlant essentiellement des mêmes faits (par. 34(2)). Ce libellé diffère de celui du projet de loi C-6, qui lui aussi interdisait expressément de porter en appel la décision d’une formation, ce qui soulève une question d’interprétation, à savoir s’il est possible d’en appeler des décisions du Tribunal, et dans quelles circonstances.
Le projet de loi C-30 établit aussi des dispositions de « libération » et de « garantie » identiques à celles du projet de loi C-6 (art. 35). Ainsi, lorsque le Tribunal rend une décision 1) établissant qu’une revendication est mal fondée ou 2) accordant une indemnité pour une revendication particulière :
À supposer que l’alinéa 35b) ait pour objet d’empêcher qu’un revendicateur soit indemnisé deux fois pour la même revendication, il pourrait être nécessaire d’apporter des précisions pour éviter que son effet soit plus étendu, par exemple pour éviter que la disposition s’applique à un revendicateur qui intenterait une action en dommages-intérêts contre une province qui n’était pas partie à la revendication initiale(68) alors que l’article 21, dont il est fait état plus haut, autorise expressément un revendicateur à prendre cette mesure(69). Cette situation ambiguë et d’autres semblables peuvent soulever des questions sur l’absence d’exception ou de plafond à cette obligation de garantie.
Selon le projet de loi C-30, le gouverneur en conseil peut, par règlement, ajouter le nom de tout accord relatif à l’autonomie gouvernementale autochtone à la partie 2 de l’annexe (art. 39)(70), qui énumère actuellement onze accords déjà conclus avec des Premières nations du Yukon(71).
L’article 40 du projet de loi prévoit que le président du Tribunal doit présenter un rapport annuel au ministre des Affaires indiennes. Fait intéressant, compte tenu de la pénurie chronique de ressources qui a été mise en évidence par les critiques à l’égard du régime existant de règlement des revendications particulières, le rapport peut indiquer « si le nombre de ses membres et les ressources dont dispose le Tribunal ont permis à celui-ci de s’acquitter de ses fonctions ». Le projet de loi n’établit aucune action corrective de la part du ministre ou du MAINC pour le cas où le rapport indiquerait que les ressources sont insuffisantes.
Le mécanisme d’examen du projet de loi oblige le ministre des Affaires indiennes à effectuer un vaste examen du mandat, des fonctions et de l’efficacité du Tribunal dans un délai de six ans suivant l’entrée en vigueur de la loi(72). Aux termes du projet de loi C-30, comme du projet de loi C-6, le ministre « donne aux premières nations la possibilité de présenter leurs observations » au cours de l’examen (par. 41(1)). L’Accord politique entre le MAINC et l’APN conclu en novembre 2007 prévoit la participation de l’APN à l’examen, mais sans préciser la nature ou l’étendue de cette participation. Le projet de loi C-30 oblige aussi le ministre à dresser un rapport – comprenant toute recommandation de modification – dans l’année suivant le début de l’examen, et ce, pour dépôt devant chaque Chambre du Parlement (par. 41(2)). Le Comité de la Chambre a amendé cette disposition pour qu’elle précise que le rapport doit aussi contenir « les observations présentées par les premières nations ».
Le projet de loi C-30 abroge la Loi sur le règlement des revendications particulières (art. 52).
Les modifications corrélatives prévoient l’adjonction du Tribunal, nouvel organisme de la fonction publique, dans les annexes de la Loi sur l’accès à l’information, de la Loi sur la gestion des finances publiques, de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur la pension de la fonction publique. Le projet de loi ajoute aussi le Tribunal à la liste des organismes à l’égard desquels la Cour d’appel fédérale a compétence en matière de révision judiciaire au titre de la Loi sur les Cours fédérales (art. 44 à 51)(73).
Le projet de loi entre en vigueur 120 jours après la date de la sanction royale (art. 53).
Peu de documents ont été publiés en réaction au projet de loi C-30; ils se limitent, pour l’essentiel, aux commentaires d’un petit nombre de porte-parole des Premières nations. Nous n’avons relevé presqu’aucun article d’opinion sur le projet de loi.
C’est à l’occasion de l’annonce du Plan d’action relatif aux revendications particulières faite par le Premier ministre Stephen Harper, en juin 2007, que les Premières nations ont réagi pour la première fois à la réforme du régime de règlement des revendications particulières proposée par le gouvernement. Leur réaction peut être considérée comme étant assortie de réserves ou mitigée. Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Phil Fontaine, a participé et souscrit à l’annonce, décrivant l’initiative comme « une réponse concrète à ce que nous réclamons depuis des décennies ». Le First Nations Leadership Council de la Colombie-Britannique a manifesté un optimisme prudent au sujet de la création d’un organisme indépendant habilité à rendre des décisions exécutoires, déclarant que cette mesure s’imposait depuis longtemps et faisant observer par ailleurs qu’il fallait un mécanisme englobant toutes les revendications, peu importe leur importance et leur étendue, et l’entière participation des Premières nations à l’élaboration des lois et des politiques. La résolution adoptée par l’Assemblée générale annuelle de l’APN en juillet 2007 ne cautionne pas expressément le Plan d’action, mais demande plutôt aux négociateurs de l’APN de militer entre autres pour l’application des recommandations contenues dans le rapport du comité sénatorial de décembre 2006 et des changements proposés dans le rapport de 1998 du GTM; pour une définition plus large des revendications particulières; pour l’affectation de ressources suffisantes permettant de réduire l’arriéré des revendications à un délai de trois à cinq ans; pour un rôle officiel dans la nomination des membres du Tribunal.
Certains membres de groupes de discussion des Premières nations ont dit voir la réforme proposée comme susceptible d’être progressiste, alors que d’autres doutaient de la voir se concrétiser. Un ancien coprésident du GTM s’est demandé si le plan gouvernemental assurerait l’indépendance et la rapidité d’action dans les faits, puisque le gouvernement conserverait son rôle décisionnel et que l’accès au Tribunal serait conditionnel au facteur temps ou à une entente entre les parties.
Dans un deuxième temps, les réactions observées au projet de réforme du régime de règlement des revendications particulières concernaient le dépôt du projet de loi C-30. En prévision du dépôt, le président du BC Specific Claims Committee a informé le chef national de l’APN des préoccupations exprimées par les communautés de la Colombie-Britannique, notamment l’absence de consultation préalable sur la teneur du projet de loi et le maximum de 150 millions de dollars pour les revendications, ce qui, à son avis, laisserait au gouvernement l’initiative de régler les grosses revendications. D’autres points préoccupants étaient le traitement des questions clés dans un accord politique distinct et le maintien de la compétence fédérale exclusive à l’égard des nominations au Tribunal.
Le 27 novembre, le chef national, Phil Fontaine, a accueilli favorablement le projet de loi C-30 et la signature de l’Accord politique, des « mesures importantes » selon lui. Il a dit avoir confiance dans le projet de loi, fruit d’un effort conjoint, et a désigné la collaboration entre l’APN et le gouvernement comme une « formule de partenariat [qui] pourrait servir de modèle » pour les futurs travaux conjoints d’élaboration des politiques et des lois. Le projet de loi et l’Accord établissent, selon lui, « une démarche globale pour la résolution [des] revendications » particulières qui devrait recevoir des appuis importants au Parlement.
Le chef national a pris note des critiques formulées au sujet du processus de consultation, mais a ajouté qu’à un moment donné il faut accepter qu’on ne pourra pas faire mieux et que le projet de loi représente un bon résultat. À son tour, le porte-parole de la Colombie-Britannique a indiqué que, même si les Premières nations de la province trouvent qu’il reste des points préoccupants, la plupart d’entre elles accueilleront d’un bon œil le projet de loi, qui simplifiera le processus actuel. Il s’est dit d’accord avec le chef national sur le fait qu’on ne pourra pas faire mieux. Au Manitoba, le chef de la Première nation de Roseau River a affirmé que le projet de loi constituait un bon progrès compte tenu des frustrations permanentes au sujet des revendications territoriales et que tout était mieux que la situation en cours.
Au sujet de la situation en Ontario, un porte-parole des Mohawks of the Bay of Quinte a indiqué que l’octroi d’indemnités uniquement pécuniaires et l’exclusion d’indemnités foncières dans le projet de loi constituaient des lacunes importantes. Le ministre des Affaires autochtones de l’Ontario a fait valoir que le projet de loi était utile pour le très petit nombre de revendications qui visent de l’argent, et de l’argent seulement, mais qu’il ne s’appliquait pas à la majorité des revendications particulières de la province. De même, le chef du grand conseil de l’Union des Indiens de l’Ontario a indiqué qu’il y avait peu d’avantages à présenter un projet de loi pour réduire l’arriéré des revendications si cette mesure ne répondait pas aux besoins de l’Ontario. Le ministre fédéral des Affaires indiennes a maintenu, dans sa réponse, que le projet de loi s’appliquait à la plupart des revendications en suspens de l’Ontario et que le Tribunal entendrait les revendications territoriales, mais ne pourrait pas accorder des terres en guise d’indemnité.
Enfin, dans une résolution adoptée le 12 décembre 2007, l’Assemblée extraordinaire des chefs de l’APN a, sans approuver explicitement le projet de loi C-30, encouragé les Premières nations à participer au processus parlementaire qui y est associé et à recommander, en s’adressant aux comités parlementaires, des moyens de remédier aux points préoccupants du texte de loi. La résolution demandait à l’APN de faciliter cette participation régionale et communautaire et demandait au chef national, en particulier, de militer vigoureusement pour l’élaboration d’un processus permettant de régler les revendications des Premières nations que le gouvernement considère comme « sans assise territoriale » et « non reconnues ». Elle exhortait aussi le gouvernement à assurer, notamment, l’affectation de ressources suffisantes pour tous les aspects du régime de règlement des revendications particulières et l’entière participation des Premières nations aux travaux désignés dans l’Accord politique.
Selon le seul commentaire éditorial publié après l’adoption du projet de loi par la Chambre des communes, le projet de loi est une amélioration par rapport au statu quo et un groupe local de Premières nations dont une revendication territoriale n’a pas encore été réglée demeure préoccupé.
Selon le Mini-sommaire national publié par la Direction générale des revendications particulières du MAINC pour la période du 1er avril 1970 au 30 septembre 2007 :
L’examen du Mini-sommaire par province révèle que :
On peut connaître les coûts de certains règlements en consultant diverses sources gouvernementales fédérales ou provinciales. Par exemple, la documentation concernant le règlement des revendications particulières en Saskatchewan entre le milieu des années 1980 et 2007 montre les faits suivants :
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