Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le projet de loi C-38, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), a été déposé à la Chambre des communes le 9 février 2017 par la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, l’honorable Jody Wilson-Raybould2.
Le projet de loi met en œuvre la plupart des dispositions contenues dans l’ancien projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes)3, un projet de loi d’initiative parlementaire déposé à la Chambre des communes le 16 octobre 2012 par la députée Maria Mourani. Ce projet de loi a été amendé par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, puis rétabli au cours de la 2e session de la 41e législature le 16 octobre 2013. Il a reçu la sanction royale en juin 2015 et a été édicté sous le titre de Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes)4, laquelle n’est cependant pas encore entrée en vigueur.
Dans le but de renforcer les dispositions du Code criminel (Code)5 portant sur la traite des personnes, le projet de loi C-38 met en vigueur les dispositions de l’ancien projet de loi C-452 qui viennent :
Le projet de loi C-38, cependant, ne met pas en vigueur immédiatement la disposition de l’ancien projet de loi C-452 qui prévoit des peines consécutives pour les infractions liées à la traite de personnes.
Au cours des 20 dernières années, la traite des personnes est devenue un enjeu urgent en ce qui concerne les politiques relatives aux migrations internationales, mais aussi une source d’inquiétudes pour ceux et celles qui cherchent à lutter contre l’exploitation aux fins de prostitution et de travail forcé à l’échelle nationale. L’expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport et l’hébergement d’une personne pour l’astreindre à un service forcé.
Dans le contexte canadien, la traite transfrontalière peut avoir pour victimes des personnes amenées au pays – légalement ou illégalement – pour travailler dans l’industrie du divertissement ou comme nourrices, travailleurs de la construction ou ouvriers agricoles. Même s’il peut arriver que des victimes de la traite de personnes aient été enlevées purement et simplement, bon nombre d’entre elles entrent au Canada de leur plein gré. Le problème survient après leur arrivée, lorsqu’elles se retrouvent malgré elles exploitées à des fins de prostitution ou d’autres formes de travail ou de service.
La traite de Canadiens à l’intérieur même du pays est aussi un problème préoccupant, en particulier la traite liée au commerce du sexe. Des personnes de tout le Canada – bon nombre issues de collectivités pauvres, et en grande partie des femmes et des filles autochtones, ainsi que des jeunes à risque et des fugueurs – quittent leur foyer pour les régions urbaines, où elles tombent dans la prostitution6. Elles peuvent avoir été attirées par une personne leur offrant des possibilités d’emploi ou autres, ou avoir été repérées par des individus en quête de ce type d’arrivants vulnérables. Dans d’autres cas, une jeune femme a un « petit ami » qui la convainc, pour l’exploiter, de s’adonner à la prostitution ou de devenir danseuse nue. Selon une évaluation de la menace réalisée en 2010 par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), les victimes de la traite intérieure de personnes sont, la plupart du temps, recrutées par l’intermédiaire d’Internet ou d’une connaissance7. Les autorités policières et les organismes de services sont de plus en plus conscients que la traite de Canadiens existe dans les grands centres urbains du pays et que les femmes et les filles autochtones sont particulièrement touchées8. En 2012, 90 % de toutes les condamnations pour traite de personnes au Canada portaient sur des crimes commis à l’intérieur des frontières nationales, dont des citoyens canadiens ou des résidents permanents ont été victimes – en grande majorité aux fins d’exploitation sexuelle9. De 2009 à 2014, dans les affaires déclarées mettant en cause la traite de personnes, les femmes ont représenté 93 % des victimes, lesquelles étaient âgées de moins de 25 ans dans près des trois quarts des cas10.
En juin 2012, le gouvernement du Canada a lancé le Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes afin de regrouper ses initiatives dans ce domaine et de « présente[r] de nouvelles initiatives agressives visant à prévenir ce crime, à repérer les victimes, à protéger les personnes les plus vulnérables et à poursuivre les trafiquants11 ». Le Groupe de travail sur la traite de personnes, dirigé par Sécurité publique Canada, supervise la mise en œuvre du Plan d’action, coordonne les mesures fédérales de lutte contre la traite de personnes et produit un rapport annuel sur les progrès réalisés. Dans le cadre de cette initiative, le Centre national de coordination contre la traite de personnes de la GRC sert de point de contact pour les organismes d’application de la loi luttant contre la traite de personnes.
À l’heure actuelle, les articles 279.01 à 279.04 du Code criminel contiennent les dispositions pénales visant expressément la traite des personnes12. Ces dispositions sont entrées en vigueur en 2005, et ont fait l’objet de modifications par la suite13. Elles énoncent essentiellement trois interdictions :
La première interdiction concerne la traite des personnes, qu’il s’agisse de recruter, de transporter, de transférer, de recevoir, de détenir, de cacher ou d’héberger une personne, ou d’exercer un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d’une personne, en vue de l’exploiter (art. 279.01, ou 279.011 s’il s’agit d’une personne mineure). Ainsi, un principe clé de l’infraction criminelle relative à la traite des personnes réside dans l’interdiction de toute situation dans laquelle une personne est déplacée, cachée ou contrainte à fournir ou à offrir de fournir du travail, des services, un organe ou des tissus.
Le consentement de la victime n’est jamais un moyen de défense admissible, en raison de l’exploitation inhérente à une infraction de cette nature (par. 279.01(2) et 279.011(2) du Code). L’article 279.04 du Code définit ainsi l’exploitation : une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir ou à offrir de fournir14 son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait exploitation directe pour que l’infraction de traite des personnes soit commise : il peut y avoir simplement contrainte pour inciter la victime à offrir ses services. Le paragraphe 279.04(2) énumère les facteurs dont le tribunal peut tenir compte pour déterminer s’il y a eu exploitation ou intention d’exploiter. La définition de l’exploitation inclut aussi les situations dans lesquelles, par la tromperie, la menace ou l’usage de la force, une personne en amène une autre à se faire prélever un organe ou des tissus (par. 279.04(3)). Toute infraction à l’interdiction principale de la traite des personnes est passible d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement, ou de l’emprisonnement à perpétuité en présence de circonstances aggravantes (des peines minimales obligatoires étant également prévues, selon le cas).
La deuxième interdiction relative à la traite de personnes est énoncée à l’article 279.02 du Code. Elle interdit à quiconque de tirer un avantage pécuniaire de la traite des personnes, sous peine d’un emprisonnement maximal de 10 ans (durée passant à 14 ans dans le cas des infractions impliquant des enfants, aussi assorties d’une peine minimale de deux ans). Cette infraction vise les personnes qui ne procèdent pas nécessairement au recrutement ou au transport des victimes dans les faits, mais qui, par exemple, hébergent une victime de la traite contre rémunération ou constituent l’« utilisateur » final d’un service sexuel ou d’une autre forme de travail forcé, en sachant que la personne est victime de la traite des personnes.
Enfin, la troisième interdiction porte sur le fait de retenir ou de détruire des documents d’identité, d’immigration ou de voyage pour faciliter la traite des personnes, et entraîne une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement – les infractions impliquant des enfants étant passibles d’une peine maximale de 10 ans et d’une peine minimale de un an (art. 279.03).
Les infractions prévues aux articles 279.01 à 279.03 du Code figurent dans la liste des infractions commises à l’extérieur du Canada pour lesquelles les citoyens canadiens et les résidents permanents peuvent être poursuivis au Canada (la disposition sur l’application extraterritoriale se trouve au par. 7(4.11) du Code).
De plus, les dispositions sur la traite des personnes prévues dans le Code peuvent être invoquées pour obtenir l’autorisation de procéder à l’interception de communications privées et au prélèvement d’échantillons de substances corporelles pour l’analyse d’ADN. Elles peuvent aussi permettre qu’un contrevenant soit inscrit au registre des délinquants sexuels ou déclaré délinquant dangereux ou à contrôler (ce dernier cas concerne les infractions touchant des enfants). Un certain nombre de dispositions sur la protection des témoins s’appliquent aussi aux infractions relatives à la traite des personnes.
Outre les articles portant expressément sur la traite de personnes, d’autres dispositions générales du Code contribuent à lutter contre ce phénomène en ciblant certaines formes d’exploitation et de violence inhérentes à celui-ci. Il s’agit notamment des infractions concernant la prostitution, l’infliction de blessures corporelles, l’enlèvement et la séquestration, l’intimidation et le crime organisé15.
Au cours des 10 années qui se sont écoulées depuis l’entrée en vigueur des dispositions relatives à la traite des personnes en 2005 jusqu’en août 2015, 90 affaires ont mené à la condamnation de 117 accusés en vertu de ces dispositions et d’autres dispositions générales du Code16. En 2014, on observait que la majorité des affaires relatives à des infractions expressément liées à la traite des personnes avaient débouché sur l’arrêt des procédures ou le retrait des accusations – seul le tiers environ a abouti à un verdict de culpabilité. Parmi les causes ayant mené à une condamnation, 23 % ont entraîné une peine d’emprisonnement et 21 %, une peine de probation17. Selon une étude réalisée en 2015, les peines prononcées à la suite de condamnations pour des infractions directement liées à la traite des personnes allaient d’une période de probation de trois ans et un jour à une période de détention de cinq ans et demi (peine nette après déduction du temps passé en détention préventive)18.
L’article 5 de l’ancien projet de loi C-452 prévoyait que la Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes) entrerait en vigueur à la date fixée par décret. Comme cette date n’a jamais été fixée, la Loi n’est pas entrée en vigueur.
Le projet de loi C-38 contient un seul article, qui modifie l’article 5 de la Loi, afin de prévoir des modalités d’entrée en vigueur distinctes pour différents articles de celle-ci. L’article premier du projet de loi énonce que les articles 1, 2 et 4 de la Loi entrent en vigueur à la date de sanction du projet de loi C-38, tandis que l’article 3 de la Loi prendra effet à la date fixée par décret.
Les dispositions de la Loi qui entreront en vigueur à la date de sanction du projet de loi C-38 viennent :
L’article premier de la Loi crée une présomption d’exploitation aux fins de l’interdiction générale de la traite des personnes (art. 279.01 du Code). Le nouveau paragraphe 279.01(3) prévoit que quiconque n’est pas exploité, mais vit avec une personne exploitée ou se trouve habituellement en sa compagnie est présumé, sauf preuve du contraire, exploiter cette personne ou en faciliter l’exploitation. Cette présomption facilitera la tâche aux procureurs en vue d’établir la preuve de l’infraction de traite de personnes, en évitant aux victimes d’avoir à comparaître au tribunal19.
L’article 4 de la Loi ajoute l’infraction de proxénétisme et de traite des personnes à la liste des infractions visées par les dispositions de large portée du Code prévoyant la confiscation des produits de la criminalité, faisant ainsi retomber sur les contrevenants déclarés coupables le fardeau de prouver que les biens ne sont pas des produits de la criminalité. Les paragraphes 462.37(2.01) à 462.37(2.07) du Code confèrent au tribunal un pouvoir étendu de confisquer des biens qui ne sont pas directement liés à la perpétration de l’acte criminel dont l’accusé a été reconnu coupable, dans le cas de certaines infractions bien précises20, qui incluront désormais le proxénétisme et la traite de personnes (nouvel al. 462.37(2.02)c) du Code).
L’article 2 de la Loi modifie la version française de la définition de l’« exploitation » donnée au paragraphe 279.04(1) du Code pour la faire correspondre à la version anglaise, car la version française faisait uniquement mention du fait de fournir son travail ou ses services et non du fait « d’offrir de fournir » son travail ou ses services.
La disposition de la Loi qui crée un régime de peines consécutives entre en vigueur à la date fixée par décret.
L’article 3 de la Loi modifie le Code (nouvel art. 279.05) afin de prévoir que toute peine infligée pour l’une ou l’autre des infractions relatives à la traite de personnes (art. 279.01 à 279.03 du Code) soit purgée consécutivement à toute autre peine sanctionnant une autre infraction basée sur les mêmes faits21.
Lors du dépôt du projet de loi C-38, la ministre Wilson-Raybould a indiqué clairement que cette disposition sur les peines consécutives n’entrera pas en vigueur pour l’instant. En 2014, le gouvernement précédent a déposé le projet de loi C-3622, qui a réformé la loi sur la prostitution. Ce projet de loi a ajouté des peines minimales obligatoires aux infractions relatives à la traite des personnes énoncées dans le Code23. Le gouvernement actuel craint que les emprisonnements consécutifs proposés, combinés aux peines minimales obligatoires, ne mènent à des peines disproportionnées qui seraient contraires à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés24 (droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités)25 .
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
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