Dans ce résumé législatif, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
Le 8 mars 2017, la ministre de la Justice a déposé à la Chambre des communes le projet de C-39, Loi modifiant le Code criminel (dispositions inconstitutionnelles) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois 1.
Ce projet de loi modifie le Code criminel (le Code) 2 afin d’éliminer et d’abroger des passages et des dispositions déclarés inconstitutionnels par la Cour suprême du Canada, ainsi qu’une disposition jugée inconstitutionnelle par quatre cours d’appel provinciales. Ces dispositions ont été jugées incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) 3. Le projet de loi apporte aussi des modifications corrélatives à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition 4 et à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents 5.
Le projet de loi C-39 vient abroger ou modifier les dispositions suivantes du Code :
Ce projet de loi est nécessaire, car il ne suffit pas pour les tribunaux de déclarer qu’une mesure législative va à l’encontre de la Charte pour l’éliminer des recueils de lois; seule une loi du Parlement peut modifier ou abroger une loi fédérale. L’un des fondements de la primauté du droit exige que les lois soient claires, stables et rendues publiques 14. Les citoyens doivent avoir l’assurance que les dispositions contenues dans le Code, dans sa version imprimée ou en ligne, sont à jour et valides. Or, ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, en 2016, Travis Vader a été condamné pour meurtre au deuxième degré en vertu d’une disposition du Code qui avait été invalidée par la Cour suprême en 1990, car elle allait à l’encontre de la Charte 15.
Par suite de l’affaire Vader, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a écrit à la ministre de la Justice pour recommander que son Ministère donne la priorité au dépôt d’un projet de loi abrogeant « toutes les dispositions du Code criminel ayant été déclarées inconstitutionnelles ou inopérantes », ajoutant que de « telles mesures législatives permettront d’éviter des cessations de procès et des appels, en plus de réduire les retards injustifiés et les coûts. Elles favoriseraient en outre la confiance du public à l’égard du système de justice criminelle 16. » Dans sa réponse datée du 17 janvier 2017, la ministre a indiqué qu’elle avait demandé aux fonctionnaires du Ministère de mener un examen des dispositions inconstitutionnelles qui se trouvaient encore dans le Code. Le but était de s’assurer que le Code soit représentatif de l’état actuel du droit et respecte la primauté du droit 17.
Le gouvernement du Canada a indiqué que le projet de loi C-39 faisait partie d’une série de projets de loi visant à mettre à jour le Code afin de le rendre le plus conforme possible à la Charte et pour qu’il reflète la société et les valeurs modernes 18. Dans sa lettre au Comité, la ministre de la Justice a aussi précisé que les représentants de son Ministère étudiaient actuellement les dispositions du Code qui avaient fait l’objet d’une interprétation plus étroite ou plus large par la Cour suprême.
Certaines dispositions du Code criminel ne sont plus opérantes parce que les tribunaux ont déterminé qu’elles étaient contraires à la Charte. Elles demeurent toutefois dans le Code jusqu’à ce qu’elles soient modifiées ou abrogées par une loi du Parlement. Le projet de loi C-39 vient procéder à cette mise à jour du Code, en prévoyant aussi certaines modifications corrélatives et dispositions de coordination.
L’article 159 du Code criminel traite comme une infraction mixte 19 le fait d’avoir des relations sexuelles anales avec une autre personne, sauf si l’une ou l’autre des deux exceptions suivantes s’applique :
En outre, les partenaires doivent consentir à l’acte, et ce dernier doit se produire dans l’intimité. Un acte est réputé ne pas avoir été commis dans l’intimité si « plus de deux personnes y prennent part ou y assistent » ou s’il est commis dans un endroit public. Lorsque le consentement est extorqué par la force, la menace ou la crainte de lésions corporelles ou est obtenu au moyen de déclarations fausses ou trompeuses quant à la nature ou à la qualité de l’acte ou lorsqu’il ne pouvait y avoir consentement de la part d’un des participants du fait de son incapacité mentale, le participant est réputé ne pas y avoir consenti. Lorsque l’accusation concerne un acte dont l’un des participants est âgé de moins de 18 ans, le mineur impliqué peut être accusé au même titre que l’adulte. La même règle s’applique si les deux participants sont mineurs. La peine maximale pour un adulte prévue pour l’infraction à l’article 159 est de 10 ans d’emprisonnement.
L’article 159 du Code a été déclaré inconstitutionnel à de nombreuses reprises par différentes cours d’appel au pays : en Ontario (1995), au Québec (1998), en Colombie-Britannique (2003) et en Nouvelle-Écosse (2006). Les juges de la Cour fédérale (1995) et de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (2002) sont également parvenus à la même conclusion 20. La décision d’une cour d’appel a force obligatoire dans la province où elle est rendue, mais la décision de première instance ne lie pas les autres juges du même degré de juridiction. Ces jugements n’ont pas force obligatoire dans les autres provinces ou territoires, mais ils peuvent constituer des éléments convaincants (par exemple, les décisions rendues par les tribunaux de la Colombie-Britannique et de la Nouvelle-Écosse se sont appuyées sur celles rendues en Ontario et au Québec).
La Cour d’appel de l’Ontario a été le premier tribunal d’appel à déclarer l’article 159 du Code inconstitutionnel, en 1995 21. Sur les trois juges appelés à se prononcer dans l’affaire R. c. C.M., deux ont conclu que l’article 159 établissait une discrimination fondée sur l’âge, portant ainsi atteinte à l’article 15 de la Charte 22, ce que la Couronne a admis. La troisième juge, la juge Abella (qui siège maintenant à la Cour suprême), a estimé que cette disposition établissait une discrimination fondée principalement sur l’orientation sexuelle, même si l’âge et l’état matrimonial entraient aussi en jeu (et que tous ces facteurs portaient atteinte à l’art. 15).
La Cour a jugé que cette disposition ne pouvait être légitimée par l’article premier de la Charte, qui permet de restreindre les droits garantis par la Charte dans des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. L’article 159 a par conséquent été déclaré inconstitutionnel.
Aucune des affaires mentionnées n’a été portée en appel devant la Cour suprême pour obtenir une réponse définitive qui s’appliquerait à l’échelle du pays. Même si différents tribunaux ont conclu que l’article 159 est inconstitutionnel, des accusations continuent d’être portées en vertu de cette disposition, y compris dans les provinces où elle a été déclarée inconstitutionnelle par la cour d’appel. Au total, 69 Canadiens ont été accusés devant des tribunaux pour adultes en vertu de cette disposition en 2014-2015, bien qu’aucune de ces accusations n’ait abouti à une déclaration de culpabilité. Sur les 98 accusations portées en vertu de cette disposition en 2013-2014, sept ont abouti à une condamnation 23 .
L’article 4 du projet de loi C-39 abroge l’article 159 afin que les relations sexuelles anales soient désormais traitées comme tout autre type d’activité sexuelle, y compris en ce qui concerne l’âge de consentement 24 . Les relations sexuelles anales non librement consenties pourraient encore faire l’objet d’autres accusations, telles que celles d’agression sexuelle (art. 271 à 273 du Code). Pour en savoir davantage sur l’historique de cette disposition, consultez le Résumé législatif du projet de loi C-32 : Loi relative à l’abrogation de l’article 159 du Code criminel 25.
Outre l’abrogation de l’article 159 du Code criminel, le projet de loi C-39 prévoit, à l’article 3, l’adjonction du nouvel article 156, qui porte sur les infractions historiques et précise ceci :
Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction d’ordre sexuel à la présente loi, dans toute version antérieure au 4 janvier 1983, sauf si l’acte reproché constitue une infraction à la présente loi s’il était commis à la date où l’accusation est portée.
Ainsi, il demeure possible de porter des accusations de sodomie (ancien nom utilisé pour désigner l’infraction touchant les relations sexuelles anales) dans des cas antérieurs d’agressions sexuelles ou d’exploitation sexuelle d’enfants, puisque l’individu est accusé en vertu de la loi en vigueur à la date de l’acte reproché. Cependant, de telles accusations ne pourraient plus être portées contre les participants à un acte sexuel librement consenti et désormais légal.
L’année 1983 retenue dans le projet de loi correspond à l’entrée en vigueur des infractions générales relatives aux agressions sexuelles actuellement prévues par le Code. Avant 1983, les infractions d’ordre sexuel étaient liées au sexe des personnes en cause et au type d’acte commis. Selon le ministère de la Justice, la « sodomie » et la « grossière indécence » sont les principales infractions antérieures à 1983 qui peuvent s’appliquer à certains types d’infractions historiques d’ordre sexuel, perpétrées notamment contre des victimes de sexe masculin 26.
Les articles 1, 2, 5, 11 à 15, 17, 18 et 21 du projet de loi C-39 suppriment tout renvoi dans le Code à l’article 159, qui est abrogé.
Aux termes de l’article 179 du Code criminel, l’acte de vagabondage constitue une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Cet acte se définit comme suit :
En 1994, dans l’affaire R. c. Heywood, la Cour suprême a invalidé l’alinéa 179(1)b) du Code, concluant que cette disposition allait à l’encontre de l’article 7 de la Charte 27 , car elle était trop générale et limitait plus que nécessaire la liberté. Tout en reconnaissant que la disposition visait un objectif très important (soit de protéger les enfants contre les infractions sexuelles), la Cour a déterminé que le libellé était trop large pour quatre raisons :
Pour ces raisons, la Cour suprême a déterminé que la disposition ne portait pas une atteinte minimale à l’article 7 justifiable par l’article premier de la Charte et l’a déclarée inconstitutionnelle.
L’article 6 du projet de loi C-39 abroge l’alinéa 179(1)b) du Code criminel de manière à bien représenter l’état actuel du droit au Canada 28.
Selon l’article 181 du Code criminel, constitue un acte criminel, passible d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans, le fait de publier volontairement une déclaration, une histoire ou une nouvelle que la personne sait fausse et qui cause, ou est de nature à causer, une atteinte ou du tort à l’intérêt public. Cette disposition tire son origine de lois britanniques visant à empêcher « les déclarations fausses qui, dans une société dominée par des propriétaires terriens extrêmement puissants, risquaient de menacer la sécurité de l’État 29 ».
En 1992, dans l’affaire R. c. Zundel, l’appelant, Ernst Zundel, avait fait l’objet de poursuites pour avoir publié des pamphlets niant l’Holocauste. La Cour suprême a déclaré que l’article 181 du Code, sur lequel reposaient les accusations portées contre M. Zundel, allait à l’encontre du droit à la liberté d’expression protégé par l’article 2 de la Charte.
La Cour a déterminé que l’objectif de l’article 181 ne justifiait pas une atteinte à la liberté d’expression garantie à l’article 2 de la Charte. De plus, elle jugeait que l’article 181 avait une portée trop vaste et un libellé trop vague et qu’il était plus envahissant que nécessaire (en tant qu’acte criminel). Cet article ne pouvait donc être justifié comme portant une atteinte minimale au droit garanti par l’article 2. Enfin, les avantages liés à cette disposition n’ont pas été jugés suffisamment convaincants pour justifier la violation d’un droit protégé par la Constitution. L’article 181 a donc été invalidé pour cause d’inconstitutionnalité.
L’article 7 du projet de loi C-39 abroge l’article 181 du Code criminel de manière à bien représenter l’état actuel du droit au Canada 30.
L’alinéa 229c) du Code criminel prévoit que le fait de causer la mort d’un être humain constitue un meurtre si
une personne, pour une fin illégale, fait quelque chose qu’elle sait, ou devrait savoir, de nature à causer la mort et, conséquemment, cause la mort d’un être humain, même si elle désire atteindre son but sans causer la mort ou une lésion corporelle à qui que ce soit.
En 1978, dans l’affaire R. c. Sault Ste. Marie 31, la Cour suprême a déclaré qu’il existe en common law la présomption que nul ne doit être reconnu d’un crime véritable en l’absence de preuve d’intention coupable ou d’insouciance :
Dans le cas d’une infraction criminelle, le ministère public doit établir un élément moral, savoir, que l’accusé qui a commis l’acte prohibé l’a fait intentionnellement ou sans se soucier des conséquences, en étant conscient des faits constituant l’infraction ou en refusant volontairement de les envisager. L’élément moral exigé pour qu’il y ait condamnation exclut la simple négligence. Dans le contexte d’une poursuite criminelle, est innocente aux yeux de la loi la personne qui néglige de demander les renseignements dont s’enquerrait quelqu’un de raisonnable et de prudent ou qui ne connaît pas des faits qu’elle devrait connaître 32.
Il est donc remarquable qu’une personne puisse être condamnée pour meurtre en vertu de l’alinéa 229c) du Code sans qu’elle ait eu l’intention de tuer un être humain ou fait preuve d’insouciance quant à la possibilité que ses actes puissent causer la mort d’autrui. L’accusé était censé savoir que son acte pouvait causer la mort (« fait quelque chose qu’elle sait, ou devrait savoir, de nature à causer la mort »). Or, dans l’affaire R. c. Vaillancourt 33, la Cour suprême a déterminé qu’il existe des crimes pour lesquels, en raison de la nature spéciale des stigmates qui se rattachent à une déclaration de culpabilité de ceux-ci ou des peines qui peuvent être imposées le cas échéant, les principes de justice fondamentale commandent une mens rea (intention de commettre) qui reflète la nature particulière du crime en question. Le meurtre en est un exemple. La peine imposée pour le meurtre est la plus sévère que l’on trouve en droit canadien, et les stigmates qui se rattachent à une déclaration de culpabilité pour meurtre sont tout aussi extrêmes. Ainsi,
il doit exister quelque élément moral spécial concernant la mort pour qu’un homicide coupable 34 puisse être considéré comme un meurtre. Cet élément moral spécial engendre la réprobation morale qui justifie les stigmates et la sentence liés à une déclaration de culpabilité de meurtre 35.
Traitant expressément du libellé de l’alinéa 229c), la Cour suprême a déclaré en 1990, dans l’affaire R. c. Martineau, que les principes de justice fondamentale exigent qu’une déclaration de culpabilité de meurtre se fonde sur la preuve hors de tout doute raisonnable d’une prévision subjective de la mort. Prenant appui sur la décision rendue dans l’arrêt Vaillancourt, le juge Lamer écrit :
Il est donc essentiel que, pour respecter les principes de justice fondamentale, les stigmates et la peine rattachés à une déclaration de culpabilité de meurtre soient réservés à ceux qui ont eu l’intention soit de causer la mort soit d’infliger des lésions corporelles dont ils savaient qu’elles étaient susceptibles de causer la mort 36.
La Cour a donc déterminé que toute disposition traitant de meurtre, comme l’alinéa 229c) du Code, qui élimine expressément l’exigence d’une preuve de prévision subjective, portait atteinte à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte 37. Pour ces raisons, l’alinéa 229c) du Code a été invalidé.
Dans l’arrêt Martineau, la Cour suprême a déclaré que la disposition relative au meurtre ne pouvait être sauvegardée par l’article premier de la Charte parce qu’il n’est pas nécessaire de reconnaître coupables de meurtre des personnes qui ne voulaient pas ou ne prévoyaient pas causer la mort, afin d’atteindre l’objectif consistant à décourager l’infliction de lésions corporelles pendant la perpétration de certaines infractions à cause du risque accru de causer la mort. La Cour suprême a déclaré que, si le Parlement voulait dissuader les gens de causer des lésions corporelles pendant la perpétration de certaines infractions, il devait alors les punir pour avoir causé des lésions corporelles.
Puisque les tribunaux ont déterminé qu’il faut faire la preuve hors de tout doute raisonnable de la prévision subjective de la mort pour maintenir une condamnation pour meurtre, l’article 8 du projet de loi C-39 modifie l’alinéa 229c) en supprimant le passage qui permet de condamner une personne s’il est démontré qu’elle « devrait savoir » qu’elle a fait quelque chose de nature à causer la mort. Autrement dit, une personne peut être trouvée coupable de meurtre en vertu de cette disposition seulement si elle savait que son acte illégal était susceptible de causer la mort.
L’article 230 du Code criminel prévoit qu’une personne commet un meurtre lorsqu’elle cause la mort d’un être humain pendant qu’elle commet ou tente de commettre certaines infractions (p. ex. agression sexuelle et vol qualifié) « qu’elle ait ou non l’intention de causer la mort d’un être humain et qu’elle sache ou non qu’il en résultera vraisemblablement la mort d’un être humain ».
Les conclusions de l’arrêt Martineau décrites précédemment ont été appliquées pour invalider l’article 230 du Code, qui était contraire à la Charte. Dans l’arrêt Martineau, la Cour suprême a déclaré qu’il est un principe de justice fondamentale qu’une déclaration de culpabilité de meurtre ne saurait reposer sur rien de moins qu’une preuve hors de tout doute raisonnable d’une prévision subjective de la mort. L’article 230 élimine expressément l’exigence d’une preuve de prévision subjective, exigeant une condamnation pour meurtre même si l’accusé ne savait pas que son acte était susceptible de causer la mort d’une personne. Pour les raisons énoncées dans l’arrêt Martineau, la Cour a déterminé que l’article 230 du Code portait également atteinte à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte.
L’article 9 du projet de loi C-39 abroge donc l’article 230 du Code criminel. Compte tenu de cette abrogation, l’article 19 du projet de loi C-39 élimine aussi la mention de l’infraction prévue à l’article 230 de la définition d’« infraction désignée » figurant au sous-alinéa 490.011(1)b)(iii) du Code, qui dresse la liste des infractions pouvant mener à l’inscription de la personne au registre national des délinquants sexuels.
L’article 258 du Code criminel prévoit un régime de présomptions légales qui dispense la Couronne de faire la preuve de certains éléments dans le cadre d’une poursuite en vertu de l’article 255 du Code (infractions de conduite avec les facultés affaiblies). Cette disposition a été modifiée en 2008 lors de l’adoption de la Loi sur la lutte contre les crimes violents 38.
Au cours des dernières années, les dispositions du Code en matière de conduite avec facultés affaiblies ont fait l’objet de nombreuses décisions de la part des tribunaux. Dans l’affaire R. c. St-Onge Lamoureux, la Cour suprême devait considérer la conformité de certaines dispositions du Code avec la Charte. Dans cette décision, la majorité a conclu que les alinéas 258(1)c), 258(1)d.01) et 258(1)d.1) du Code portent atteinte à la présomption d’innocence prévue à l’alinéa 11d) de la Charte, mais que seules les exigences de l’alinéa 258(1)c) ne se justifient pas dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte. Toutefois, la Cour suprême a conclu que l’alinéa 258(1)c) est justifié au sens de l’article premier de la Charte une fois amputé des mots :
en l’absence de toute preuve tendant à démontrer à la fois que les résultats des analyses montrant une alcoolémie supérieure à quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang découlent du mauvais fonctionnement ou de l’utilisation incorrecte de l’alcootest approuvé et que l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise ne dépassait pas quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang
qui sont remplacés par les mots « en l’absence de toute preuve tendant à démontrer le mauvais fonctionnement ou l’utilisation incorrecte de l’alcootest approuvé ».
Autrement dit, les deux exigences énoncées à l’alinéa 258(1)c) sont invalidées, mais la majorité des juges estime qu’il est justifié d’exiger que la preuve contraire cible le fonctionnement ou l’utilisation de l’alcootest 39. Le tableau 1 résume les exigences que doit satisfaire l’accusé afin de pouvoir réfuter chaque présomption.
Présomption | Exigences pour la réfutation |
---|---|
Présomption d’exactitude des résultats des analyses des échantillons d’haleine (al. 258(1)c) du Code criminel). Présomption d’identité selon laquelle les résultats sont présumés correspondre à l’alcoolémie de l’accusé au moment de l’infraction reprochée (al. 258(1)c) du Code). |
|
Présomption d’identité selon laquelle une alcoolémie supérieure à 0,08 au moment de l’analyse est présumée correspondre à celle qui existait au moment de l’infraction reprochée (al. 258(1)d.1) du Code). |
|
Notes :
Même si la constitutionnalité de l’alinéa 258(1)d) n’a pas été contestée dans l’affaire R. c. St Onge Lamoureux, le paragraphe 10(3) du projet de loi C-39 y apporte une modification similaire, puisque le libellé de cette disposition est semblable à celui de l’alinéa 258(1)c). Alors que l’alinéa 258(1)c) s’applique lors du prélèvement d’échantillons d’haleine, l’alinéa 258(1)d) s’applique quant à lui lors du prélèvement d’échantillons de sang. Ainsi, l’article 10 du projet de loi retire des alinéas 258(1)c) et 258(1)d) les parties invalidées par la Cour suprême. Il uniformise également la présentation des versions française et anglaise de ces deux alinéas.
Aux termes de l’article 287 du Code criminel, l’emploi de quelque moyen que ce soit pour procurer un avortement constitue un acte criminel, passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité. Toute personne de sexe féminin enceinte qui tente d’obtenir un avortement est elle-même passible d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans. Cet article ne s’applique pas si un comité de l’avortement thérapeutique d’un hôpital accrédité ou approuvé déclare par certificat que la continuation de la grossesse mettrait ou mettrait probablement en danger la vie ou la santé de la femme.
En 1988, dans l’arrêt connu sous le nom R. c. Morgentaler, la Cour suprême a déterminé que forcer une femme, sous la menace d’une sanction criminelle, à mener un fœtus à terme à moins qu’elle ne satisfasse à des critères sans rapport avec ses propres priorités et aspirations est une ingérence grave à l’égard de son corps et donc une violation de la sécurité de sa personne, ce qui est contraire à l’article 7 de la Charte. Les exigences établies dans le Code pouvaient aussi avoir pour effet de retarder l’obtention d’un traitement médical pour les femmes qui satisfaisaient aux critères établis. Dans le contexte de l’avortement, tout retard inutile peut avoir de profondes répercussions sur le bien‑être physique et émotionnel d’une femme. Dans la pratique, la procédure établie dans le Code empêchait une femme enceinte de se prévaloir des motifs de défense prévus à l’article 287. Le système régissant l’accès aux avortements thérapeutiques comportait tellement de barrières potentielles à son propre fonctionnement que la défense qu’elle instituait était, dans de nombreuses circonstances, hors de portée en pratique des femmes. Pour ces raisons, la Cour a déclaré que l’article 287 ne respectait pas les principes de la justice fondamentale et n’était pas justifié par l’article premier de la Charte.
L’article 287 du Code criminel a été déclaré inopérant dans l’arrêt Morgentaler, mais il est demeuré inchangé dans la loi depuis 1988. Il est abrogé par l’article 16 du projet de loi C-39.
L’article 719 du Code criminel s’applique à la détermination de la peine rendue contre un accusé reconnu coupable. Plus précisément, le paragraphe 719(3) prévoit que le tribunal peut prendre en considération la période passée en détention provisoire afin de fixer la peine à infliger. La peine peut ainsi être réduite d’au maximum un jour pour chaque jour passé sous garde. Toutefois, le paragraphe 719(3.1) porte ce maximum à un jour et demi pour chaque jour passé en détention provisoire, mais seulement « si les circonstances le justifient ». Cette exception ne s’applique cependant pas dans le cas où la personne s’est vu refuser une mise en liberté sous caution principalement en raison d’une condamnation antérieure (en vertu du par. 515(9.1) du Code).
L’article 719 a été modifié en 2009 à la suite de l’adoption de la Loi sur l’adéquation de la peine et du crime 41. Auparavant, la pratique répandue consistait à compter en double le temps passé en détention provisoire, en partie parce que cette période ne compte pas dans le calcul des délais d’admissibilité à la libération conditionnelle. De plus, cette réduction de peine venait en quelque sorte compenser les conditions plus rigoureuses et difficiles de détention provisoire, en raison du niveau de sécurité élevé, des problèmes de surpeuplement et de l’absence de programmes d’éducation et de traitement dans plusieurs établissements. La Cour suprême a statué dans l’affaire R. c. Wust 42 que le tribunal doit accorder une réduction de peine pour la détention provisoire, à moins de justifier son abstention de le faire, sans toutefois fixer de formule rigide à cet égard.
En 2016, dans l’affaire R. c. Safarzadeh-Markhali, la Cour suprême a déclaré que l’exclusion du crédit majoré pour détention provisoire (prévu au par. 719(3.1) du Code) dans le cas d’un accusé qui s’est vu refuser une mise en liberté sous caution principalement en raison d’une condamnation antérieure contrevient à l’article 7 de la Charte. La Cour suprême explique que cette disposition restreint la liberté d’une manière excessive et ne respecte pas les principes de justice fondamentale. Elle oblige une personne à purger une peine d’emprisonnement plus longue que celle qu’elle aurait purgée autrement. Conséquemment, la Cour suprême a déclaré inopérante la partie contestée du paragraphe 719(3.1), à savoir : « sauf dans le cas où la personne a été détenue pour le motif inscrit au dossier de l’instance en application du paragraphe 515(9.1) ».
Ainsi, l’article 20 du projet de loi retire du paragraphe 719(3.1) du Code criminel la partie déclarée inopérante par la Cour suprême.
Le projet de loi prévoit également un certain nombre de modifications corrélatives visant à retirer la mention de l’article 159 du Code dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
L’article 25 du projet de loi vise à coordonner l’entrée en vigueur du projet de loi C-39 en cas d’adoption et d’entrée en vigueur du projet de loi C-226, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport), la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence 43. Le projet de loi C-226, parrainé par le député Steven Blaney, reprend essentiellement le contenu du projet de loi C-73, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport), la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence 44, déposé le 16 juin 2015 par l’honorable Peter MacKay, alors ministre de la Justice. Le projet de loi C-73 est mort au Feuilleton à l’étape de la première lecture lors de la dissolution du Parlement le 2 août 2015. Ce projet de loi prévoyait une refonte des articles du Code criminel régissant les infractions relatives aux moyens de transport, principalement par une harmonisation des peines et un encadrement de la communication de la preuve.
* Avertissement : Par souci de clarté, les propositions législatives du projet de loi décrit dans le présent résumé législatif sont énoncées comme si elles avaient déjà été adoptées ou étaient déjà en vigueur. Il ne faut pas oublier, cependant, qu’un projet de loi peut faire l’objet d’amendements au cours de son examen par la Chambre des communes et le Sénat, et qu’il est sans effet avant d’avoir été adopté par les deux chambres du Parlement, d’avoir reçu la sanction royale et d’être entré en vigueur. [ Retour au texte ]
La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.[ Retour au texte ]
D’autres dispositions du Code criminel sont en vigueur pour offrir aux enfants une protection exhaustive contre les agresseurs sexuels; dont l’article 161, par exemple, qui oblige un tribunal qui détermine la peine à envisager d’imposer une ordonnance d’interdiction pour empêcher un agresseur sexuel d’enfants de se trouver dans un parc public ou dans une zone de baignade où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait des enfants.Voir Ministère de la Justice, Questions et réponses – Retrait de dispositions déclarées inconstitutionnelles. [ Retour au texte ]
© Bibliothèque du Parlement