Le déclin de la participation des jeunes aux élections fédérales canadiennes a été observé pour la première fois à la suite des élections générales fédérales de 1984. La participation des jeunes est depuis inférieure à celle de tous les autres groupes d’âge, exception faite de certaines augmentations intermittentes aux cours des dernières années.
Les recherches sur la participation électorale indiquent un fléchissement de la tendance selon laquelle la participation augmente à mesure que l’électorat vieillit. Ce phénomène pourrait avoir de graves conséquences dans le contexte du renouvellement des générations, bien que certains auteurs soient d’avis que l’effet du cycle de vie se fait sentir plus tardivement chez les générations actuelles.
De nombreuses raisons peuvent expliquer le désintérêt des jeunes électeurs et électrices. Les facteurs socio-démographiques, l’éducation et le fait d’être né au Canada ont une incidence importante sur la participation électorale des jeunes. Des études ont également révélé que l’intérêt pour la politique, ou plutôt l’absence d’un tel intérêt, et les connaissances politiques influent sur la participation des jeunes, dont un nombre important ne se reconnaissent pas dans les programmes des partis. Les jeunes disent aussi se méfier du système, tant à l’égard de l’utilité du vote qu’à l’égard du Bureau du directeur général des élections, communément appelé Élections Canada, lui-même. Cependant, la consultation des médias aurait, dans l’ensemble, une incidence positive sur l’acquisition de connaissances politiques. La lecture des journaux et la fréquentation des sites Web de nouvelles exercent une forte influence positive sur la participation électorale des jeunes canadiens, bien que l’effet ne soit pas aussi prononcé dans le cas de la télévision et de la radio.
Devant ce constat, diverses initiatives ont été lancées pour accroître la participation électorale des jeunes au Canada. Après avoir étudié la question, Élections Canada a pris des mesures pour faciliter l’accès et l’inscription sur les listes électorales. L’organisme a mis à profit les avancées technologiques pour faciliter l’inscription en ligne, mener des campagnes de communication et de sensibilisation et interagir avec le grand public par le truchement des médias sociaux. Les activités de simulation parlementaire et électorale offrent aux jeunes leurs premiers contacts avec le processus politique et les initient aux fondements du débat parlementaire. En conséquence, Élections Canada a appuyé des programmes pour la tenue d’élections parallèles dans les écoles et a mis à jour ses ressources pédagogiques sur l’engagement civique.
La présente Étude de la Colline propose une analyse des tendances liées à la participation des jeunes aux élections fédérales au Canada, de 1965 à 2021, et un examen des effets du déclin de la participation électorale sur la démocratie canadienne. Elle examine également les facteurs de la participation électorale des jeunes en se fondant sur les conclusions de plusieurs enquêtes et études. Enfin, cette étude présente des initiatives visant à encourager la participation des jeunes aux élections fédérales.
De 1980 jusqu’à 2021, le taux de participation des jeunes électeurs et électrices aux élections générales fédérales a été beaucoup moins élevé que celui de tous les autres groupes démographiques. Lors des 42es élections générales tenues en 2015, les jeunes ont été nettement plus nombreux à voter qu’au cours des années précédentes, mais dans une proportion qui est néanmoins demeurée inférieure au taux de participation global et qui a de nouveau diminué en 2019. Cette participation moindre des jeunes Canadiens au processus électoral exerce une forte pression à la baisse sur la participation électorale dans son ensemble 1.
Depuis 1993, le taux de participation global 2 aux élections générales fédérales est demeuré, en moyenne, sous la barre des 70 % 3. Le taux de participation le plus faible depuis la Confédération a été enregistré aux élections de 2008, où il est tombé à 56,5 %, selon les estimations 4. Bien que le taux de participation global ait augmenté à 67 % en 2019 5, il a chuté à 62,5 % aux élections de 2021 6.
Selon certaines études, l’idée reçue voulant que les jeunes abstentionnistes se rendent davantage aux urnes à mesure qu’ils prennent de l’âge ne s’appliquerait plus. Cela dit, le fort taux de participation à l’élection de 2015 a donné lieu à une réévaluation de l’engagement des jeunes dans la vie démocratique au Canada. Toutefois, ce taux de participation n’ayant pas été maintenu en 2019, l’engagement des jeunes électeurs et électrices au Canada a de nouveau été remis en question.
La présente étude fait un bref survol de la participation électorale des jeunes entre 1965 et 2021, avant d’aborder les effets d’une participation moindre de l’électorat sur la démocratie canadienne. Les déterminants de la participation électorale des jeunes Canadiens sont ensuite examinés à travers les résultats de divers sondages et études. Enfin, il est question des mesures prises par le Bureau du directeur général des élections, communément appelé Élections Canada, pour remédier à la situation.
En compulsant les données sur la participation électorale entre 1965 et 2000 présentées dans l’Étude électorale canadienne, on peut observer plusieurs choses concernant la période de 1965 à 1980 (voir la figure 1 ci-dessous). D’abord, les plus jeunes cohortes (18 à 24 ans et 25 à 29 ans) ont toujours été parmi celles dont le taux de participation était le plus bas. À certains moments, l’écart entre le taux de participation des deux cohortes les plus jeunes et celui des électeurs âgés de 35 ans et plus s’élevait à près de 10 %. Cependant, cet écart est relativement modeste comparativement à ceux des années qui ont suivi cette période. De 1965 à 1980, les fluctuations entre les groupes d’âge n’étaient pas particulièrement marquées, à l’exception d’une hausse estimée à 13 % du taux de participation des électeurs âgés de 18 à 24 ans entre les élections de 1972 et de 1974.
Note : Au Canada, le vote est un acte confidentiel. Pour recueillir des données sur la participation aux élections, l’Étude électorale canadienne s’est appuyée sur des enquêtes postélectorales. Sur le plan méthodologique, ces enquêtes avaient tendance à produire des taux de participation plus élevés que les taux officiels, notamment parce que, pour bien des gens, il est préférable, au point de vue social, de déclarer qu’on a voté. L’échantillon des participants au sondage avait aussi tendance à compter plus de personnes qui avaient voté que de personnes qui n’avaient pas voté. Les données de la figure n’ont pas été ajustées pour tenir compte de ces considérations d’ordre méthodologique.
Source : Figure produite par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de « Figure 1 – Reported voter turnout in federal elections by age group, 1965-2000 », dans Margaret Adsett, « Change in political era and demographic weight as explanations of youth ‘disenfranchisement’ in federal elections in Canada, 1965-2000 », Journal of Youth Studies, vol. 6, no 3, 2003, p. 251.
Aux élections générales fédérales de 1984 à 2000, les taux de participation déclarée pour les cohortes d’électeurs âgés de 18 à 24 ans et de 25 à 29 ans ont diminué de façon marquée (comme l’indique la figure 1 ci-dessus). La participation des électeurs âgés de 18 à 24 ans a diminué d’environ 10 points de pourcentage (d’un peu plus de 70 % à un peu plus de 60 %, ce qui équivaut à une baisse de 15 %). Pendant cette période, la participation des électeurs âgés de 25 à 29 ans a connu une baisse semblable, malgré un léger relèvement aux élections générales fédérales de 2000 par rapport à celles de 1997.
Au cours de la même période, la participation des cohortes plus âgées a connu des hausses et des baisses qui coïncidaient à peu près avec celles qui s’observaient chez les plus jeunes. Toutefois, ces fluctuations n’avaient pas la même ampleur que celles des deux cohortes les plus jeunes, et la diminution de la participation des quatre cohortes les plus âgées était plutôt faible. En fait, la participation des électeurs âgés de 55 ans et plus a augmenté et, en 1993, cette cohorte a produit le plus haut taux de participation enregistré par l’étude.
Pour calculer les taux de participation de 2004 à 2011, Élections Canada a utilisé une méthode 7 qui diffère de celle de l’Étude électorale canadienne. C’est pourquoi les pourcentages estimés de Canadiens, par groupe d’âge, qui ont voté aux élections générales depuis 2004 au fédéral ne devraient pas être comparés aux pourcentages estimés rapportés par l’Étude électorale canadienne pour les élections antérieures. Néanmoins, il demeure possible de comparer les tendances et les fluctuations des taux de participation présentés dans les deux ensembles de données.
Source : Figure produite par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Élections Canada, « Estimation de la participation électorale par groupe d’âge (2004-2015) (basée sur la population électorale) », Rapport rétrospectif sur la 42e élection générale du 19 octobre 2015 (1,63 Mo, 97 page), septembre 2016, p. 32; Élections Canada, Estimation du taux de participation selon le groupe d’âge et le sexe à l’élection générale de 2019; et Élections Canada, Taux de participation selon l’âge – Estimation du taux de participation selon le groupe d’âge et le genre à l’élection générale de 2021.
Tout d’abord, les écarts entre la participation de la cohorte la plus jeune et celle de la cohorte suivante persistent d’un ensemble de données à l’autre. L’écart entre ces deux cohortes est de l’ordre de 6 à 11 % (voir la figure 2 ci dessus). L’Étude électorale canadienne signale un écart semblable pour les élections générales fédérales de 1984, 1988, 1993 et 2000.
Un autre écart, celui-ci entre le taux de participation des deux cohortes les plus jeunes et le taux de participation moyen, pour chaque élection fédérale, persiste aussi bien dans les estimations d’Élections Canada que dans celles de l’Étude électorale canadienne. Depuis 1984, les taux de participation estimés des deux cohortes les plus jeunes sont inférieurs à ceux de tous les autres groupes d’âge 8. Aux élections générales fédérales de 2004, 2006, 2008 et 2011, l’écart entre les estimations des taux de participation globaux moyens et des taux de participation de la deuxième cohorte se situait entre 8,5 % et 14 %, alors que cette proportion augmente pour osciller entre 19 % et 21 % dans le cas de la cohorte la plus jeune. Entre 2004 et 2011, le taux de participation estimé de la cohorte la plus jeune a fluctué entre 37 % et 44 %.
Aux élections générales fédérales de 2015, le taux de participation global des personnes âgées de 18 à 24 ans a fait un bond de 18 points de pourcentage par rapport à 2011 pour atteindre 57,1 % (voir figure 2 ci-dessus). Les personnes âgées de 25 à 34 ans ont aussi voté en plus grand nombre, leur taux de participation passant de 45,1 % en 2011 à 57,4 % en 2015. Il est à noter que tous les groupes d’âge ont vu leur taux de participation augmenter en 2015, mais les progressions les plus importantes ont été enregistrées chez les personnes âgées de 18 à 24 ans et de 25 à 34 ans 9.
Si le taux de participation des jeunes a augmenté en 2015, cette croissance ne s’est pas maintenue en 2019. Le taux de participation des personnes âgées de 18 à 24 ans est ainsi passé de 57,1 % en 2015 à 53,9 % en 2019. Toutefois, le taux de participation de celles âgées de 25 à 34 ans est passé, quant à lui, de 57,4 % à 58,4 %.
Lors des élections fédérales de 2021, seulement 46,7 % des jeunes électeurs et électrices de 18 à 24 ans ont voté, soit une baisse par rapport aux chiffres de 2019. Cette fois-ci, le taux de participation a aussi diminué pour les jeunes de 25 à 34 ans et est passé à 52,8 %.
Indépendamment de ces fluctuations, la participation des jeunes électeurs et électrices est systématiquement restée sous la moyenne nationale, qui était de 66,1 % en 2015, de 67 % en 2019 et de 62,2 % en 2021 10.
Les recherches sur la participation électorale indiquent que la tendance à voter davantage en vieillissant (l’« effet du cycle de vie ») semble s’infléchir. Ce phénomène pourrait avoir de graves conséquences dans le contexte du renouvellement des générations. Par contre, certains auteurs sont d’avis que l’effet du cycle de vie est toujours observable, mais qu’il agit plus tardivement sur les générations d’aujourd’hui.
Selon l’opinion générale, la participation électorale suivrait un cycle tributaire de l’âge. Pour diverses raisons d’ordre structurel, social, moral et économique, un pourcentage moins élevé de jeunes se rendraient aux urnes comparativement aux personnes plus âgées 11. En vieillissant, ces jeunes abstentionnistes seraient plus susceptibles d’aller voter. Cette tendance est connue sous le nom d’« effet du cycle de vie ».
Cependant, plusieurs études récentes révèlent que cette tendance ne se vérifie plus dans la même mesure que par le passé. En 2011, Élections Canada a publié un document de travail rédigé par André Blais et Peter Loewen, intitulé Participation électorale des jeunes au Canada. Les auteurs voulaient comprendre l’étendue et les causes de la participation (et de la non-participation) électorale des jeunes au Canada. Ils ont démontré que l’effet du cycle de vie est moins évident chez les personnes nées à partir des années 1970 que chez celles des générations précédentes. À ce sujet, ils affirment ce qui suit :
Il semble y avoir une tendance persistante à la baisse dans le taux de participation des nouvelles cohortes. En conséquence, même si les jeunes sont plus susceptibles de voter à mesure qu’ils vieillissent, ils sont si peu nombreux à le faire au départ qu’on doit s’attendre à ce que le taux de participation général diminue 12.
Cette tendance aurait vraisemblablement des effets importants au fil du renouvellement des générations. Cela dit, Blais et Loewen évoquent la possibilité que l’effet du cycle de vie soit simplement reporté, puisque les jeunes d’aujourd’hui auraient « besoin de plus de temps pour atteindre une certaine “maturité” 13 ».
Constance Flanagan et Peter Levine abondent dans le même sens et affirment que cette tendance se manifeste par une transition retardée vers la vie adulte et donc un enracinement dans la communauté beaucoup plus tardif que les générations précédentes 14. D’autres auteurs évoquent également la possibilité que le désengagement politique ne soit que temporaire pour une partie des jeunes abstentionnistes d’aujourd’hui et qu’il ne faut pas considérer cette génération comme un tout homogène 15. Selon eux, il serait faux d’affirmer que ces abstentionnistes sont tous cyniques ou désintéressés, et ce, de façon permanente. La non participation pourrait être associée à des facteurs qui sont temporaires, comme le fait de combiner le travail et les études supérieures et d’avoir moins de temps à consacrer à l’engagement 16.
Des études ont divisé l’électorat en générations approximatives, selon l’âge, et ont suivi l’évolution de leur propension à voter au fil du temps. Les chercheurs ont noté que les personnes nées avant 1945 et entre 1945 et 1959, qui estimaient qu’il était de leur devoir de voter, sont remplacées par des générations plus jeunes (nés après 1960), moins susceptibles d’exercer leur droit de vote 17. Ce phénomène serait à l’origine du recul de la participation électorale observé depuis les élections générales de 1993 et aurait pour conséquence de faire reculer le taux de participation électorale 18. De fait, si les jeunes qui sont moins enclins à voter continuent de remplacer des cohortes qui le sont davantage, le taux de participation électorale moyen pourrait chuter. Cela tiendrait à la disparition des groupes d’âge auxquels le taux de participation global est attribuable en grande partie actuellement et à leur remplacement par des générations ne possédant pas un niveau d’engagement équivalent.
Cela dit, les auteurs qui parlent d’une participation plus tardive dans la vie civique des jeunes d’aujourd’hui ou encore du caractère temporaire de leur abstentionnisme, dressent un portrait plus optimiste de l’avenir de la vie démocratique au Canada. Pour ceux-ci, le fait de ne pas voter à 18 ans ne s’inscrit pas nécessairement dans une tendance à long terme au désengagement 19.
Le taux global de participation des jeunes reste sous la moyenne canadienne de 66,1 %, mais l’écart diminue. L’augmentation du taux de participation des personnes âgées de 18 à 24 ans aux élections générales fédérales de 2015 et de 25 à 34 ans aux élections générales fédérales de 2019 donne à penser qu’un changement est possible. Certes, cette progression n’est pas garante de l’avenir, mais si l’on se fie aux nombreuses études qui montrent que l’habitude de voter se développe en votant, il pourrait être permis d’espérer 20.
Blais et Loewen ont relevé un ensemble de facteurs sociodémographiques susceptibles d’influer sur les habitudes électorales des jeunes. Ils ont constaté que les jeunes d’aujourd’hui sont moins souvent mariés, sont plus instruits, sont un peu moins religieux, touchent un revenu moindre et sont plus susceptibles d’être nés au Canada que les jeunes des générations précédentes.
Les auteurs avancent que, parmi tous ces facteurs sociodémographiques, ce sont le niveau de scolarité et le fait d’être né au Canada qui influencent le plus fortement la décision des jeunes de voter. Selon les données recueillies par les auteurs, les étudiants âgés de 18 à 24 ans sont 9 % plus susceptibles de voter que les jeunes qui appartiennent au même groupe d’âge, mais qui n’étudient pas, et les jeunes nés au Canada âgés de 18 à 24 ans sont 12 % plus susceptibles de voter que les jeunes qui sont nés à l’extérieur du pays. Par conséquent, les auteurs croient qu’« il faut, aux personnes nées à l’extérieur du Canada, un peu plus de temps pour se familiariser avec la politique canadienne 21 ».
Dans une étude préparée pour Élections Canada en janvier 2015, Antoine Bilodeau et Luc Turgeon arrivent à des conclusions analogues à celles de Blais et Loewen quant à l’influence du fait d’être né ou non au Canada sur la propension des jeunes à voter. Cependant, en ce qui concerne le statut d’étudiant, leurs données révèlent que, pour le groupe de personnes âgées de 25 à 34 ans, le fait d’être aux études fait diminuer la propension à voter, alors qu’aucun effet n’est noté chez celles âgées de 18 à 24 ans. Sans pouvoir expliquer ce résultat, les auteurs avancent l’hypothèse selon laquelle « l’âge éclipse l’effet du statut d’étudiant 22 ».
Pour Blais et Loewen, les facteurs politiques – à savoir l’intérêt pour la politique et le degré d’information sur la politique – ont une incidence encore plus grande que les facteurs sociodémographiques sur le comportement électoral des jeunes.
On entend souvent que les enjeux qui intéressent les jeunes ne se retrouvent pas dans les plateformes électorales des partis politiques. Cette hypothèse est toutefois contestée par des politologues qui ont mené une étude pour le compte d’Élections Canada après les élections fédérales de 2004. À cet effet, Elisabeth Gidengil et ses collègues affirment que :
[L]es enjeux qui intéressent les jeunes figurent bel et bien dans le discours politique, et les partis prennent position à leur sujet. Le problème est que trop souvent les jeunes ne prêtent pas l’oreille au message 23.
Bilodeau et Turgeon n’abordent pas la question des enjeux, mais ils sont d’avis que les jeunes portent moins d’intérêt à la politique, que ce soit au niveau fédéral ou provincial. Les auteurs démontrent également que les jeunes se sentent moins proches d’un parti politique que leurs aînés 24.
Pour l’auteure Heather Bastedo, ce n’est pas parce qu’un jeune ne vote pas à une élection qu’il ne s’intéresse pas à la politique. Les jeunes plus susceptibles de faire preuve d’engagement politique, comme ceux qui ont fait des études universitaires, vont s’intéresser davantage aux enjeux politiques nationaux et mondiaux, alors que les jeunes moins scolarisés porteront un plus grand intérêt aux enjeux politiques locaux et, donc, beaucoup plus près de leur expérience personnelle 25.
Les auteurs de l’étude de 2004 préparée pour le compte d’Élections Canada qualifiaient de « stupéfiant » le manque de connaissances politiques des jeunes Canadiens 26. D’ailleurs, les politologues s’accordent à reconnaître qu’une part substantielle de jeunes électeurs et électrices se présente aux urnes dépourvus des outils nécessaires pour prendre une décision éclairée 27. L’Enquête nationale auprès des jeunes 2015 a révélé que non seulement les jeunes ont moins de connaissances politiques que leurs aînés, mais aussi qu’ils jugent plus difficile de s’informer sur les partis politiques et les candidats que les adultes plus âgés 28.
Pour Bilodeau et Turgeon, les jeunes ont moins tendance à exprimer des opinions politiques que leurs aînés, ce qui pourrait indiquer un manque de connaissances au sujet des institutions politiques canadiennes 29. Dans une étude réalisée pour le compte de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), Henry Milner a établi un lien de cause à effet entre le niveau de connaissances politiques et le taux de participation électorale chez les jeunes 30.
Outre la connaissance limitée du système politique, on constate chez les Canadiens, qu’ils soient jeunes ou plus âgés, un désintérêt à l’égard des affaires publiques. Un grand nombre d’entre eux doutent que le fait de voter tous les quatre ans puisse avoir une réelle influence sur le processus décisionnel. Il s’ensuit un abstentionnisme électoral qui peut se transformer avec les années en méfiance, voire en cynisme 31.
Selon les résultats de l’étude de Bilodeau et Turgeon, les jeunes Canadiens témoignent moins de confiance que leurs aînés envers Élections Canada et cela aurait un effet sur leur taux de participation. Le « sens civique » serait aussi plus faible chez les jeunes Canadiens. En réponse à l’énoncé : « Je me sentirais coupable si je ne votais pas », les personnes âgées de 18 à 24 ans ont exprimé un sentiment de culpabilité moindre que leurs aînés. Par contre, l’écart entre les groupes d’âge était moins grand lorsqu’il s’agissait de dire si leur vote pouvait faire une différence. Les personnes âgées de 18 à 24 ans ont affirmé que « oui » à 64 %, contre 63 % pour celles âgées de 25 à 34 ans et 77 % pour celles âgées de 35 ans et plus 32.
Lorsqu’il est question de cynisme, on pointe souvent un doigt accusateur vers les médias. La télévision retient l’attention à cause de sa propension à exacerber l’aspect conflictuel de la politique 33.
Toutefois, la consultation des médias aurait généralement une incidence positive sur l’acquisition des connaissances politiques, bien que cette incidence varie en fonction du média utilisé. La lecture des journaux et la consultation de sites de nouvelles sur le Web auraient un effet positif manifeste sur le taux de participation électorale des jeunes Canadiens, alors que l’écoute de la télévision et de la radio aurait une incidence moins importante.
Le taux de participation des jeunes Canadiens suscite des inquiétudes depuis de nombreuses années. Diverses mesures ont été proposées pour remédier à leur faible participation. Il convient de souligner de façon particulière les initiatives prises par Élections Canada au cours des dernières années afin d’augmenter le taux de participation chez les jeunes.
La proposition d’abaisser l’âge de voter, pour le faire passer de 18 à 16 ans, revient régulièrement à l’avant-scène lorsqu’il est question d’augmenter le taux de participation électorale des jeunes Canadiens. La Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis recommandait en 1991 que le Parlement revoie périodiquement cette question 34. Les promoteurs de l’abaissement de l’âge minimal pour voter insistent aussi sur la nécessité d’inculquer aux jeunes le sens civique du vote avant la fin de leur scolarité (voir la rubrique 5.1.4). Toutefois, il n’y a pas de preuve irréfutable qu’une telle mesure augmenterait, du moins à long terme, le taux de participation électorale au Canada 35.
Parmi les autres propositions, mentionnons l’instauration du vote obligatoire. Cette mesure est toutefois sujette à caution en raison de sa nature contraignante et de la capacité réelle qu’aurait l’État canadien d’en assurer le respect. Selon Henry Milner, on assisterait à une hausse tout au plus minime du taux de participation électorale 36.
En qualité d’organisme indépendant relevant du Parlement, Élections Canada administre le système électoral fédéral selon le cadre énoncé dans la Loi électorale du Canada 37. Outre l’organisation et la supervision des élections fédérales, l’organisme s’assure que le processus électoral est équitable, transparent et accessible à l’ensemble des participants.
En 2004, la Chambre des communes a adopté à l’unanimité une motion qui demandait à Élections Canada de mettre au point des initiatives visant à encourager les jeunes Canadiens à participer au processus électoral 38.
En fait, la désaffection des jeunes électeurs à l’égard des bureaux de vote représente, depuis de nombreuses années, une source de préoccupations pour Élections Canada. Après chaque scrutin, des analyses sont menées pour déterminer le taux de participation par groupe d’âge et des sondages sont effectués auprès de tous les groupes démographiques. Élections Canada a aussi créé le site Web « Inspirer la démocratie » qui se veut une plateforme pour diffuser des études sur la participation des jeunes et permettre l’échange d’information sur les moyens d’accroître leur engagement civique 39.
À la suite des élections fédérales de 2011, Élections Canada a commandé la première Enquête nationale auprès des jeunes (ENJ) et a répété l’expérience après les élections de 2015 et de 2019. Ces études visent à mieux faire comprendre le comportement électoral des jeunes de 18 à 34 ans, en recensant les divers obstacles au vote, sur le plan de la motivation ou de l’accès 40.
L’inscription des jeunes électeurs et électrices sur les listes électorales demeure une des priorités d’Élections Canada. À chaque scrutin, des agents de relations communautaires sont chargés de faciliter dans la plus grande mesure possible l’accès des jeunes, en menant des campagnes d’inscription spéciales dans les quartiers à forte concentration d’étudiants et dans les circonscriptions où se trouvent des établissements d’enseignement postsecondaire.
Par le passé, Élections Canada a communiqué avec les dirigeants des grandes associations étudiantes nationales pour discuter des façons de faciliter le vote des étudiants le jour des élections. Lors des élections de janvier 2006, Élections Canada s’est assuré que les directeurs du scrutin accordent une attention particulière aux jeunes, étant donné que la période électorale coïncidait avec la période des examens et des Fêtes. Des bureaux d’inscription et de scrutin ont été installés sur les campus pour faciliter le vote des jeunes. Poursuivant sur cette lancée, dans le cadre d’un projet pilote en 2015, les directeurs de scrutin ont ouvert 71 bureaux satellites sur certains campus, dans des centres d’amitié ou des YMCA pour rejoindre les jeunes et leur offrir divers services (information, inscription et vote) 41.
En 2007-2008, afin de faciliter l’accès des jeunes électeurs et électrices autochtones au processus électoral, Élections Canada a travaillé en partenariat avec l’Assemblée des Premières Nations (APN) pour tenir un forum des jeunes Autochtones 42. Élections Canada a aussi collaboré avec l’APN lors des élections fédérales de 2006 à 2021. Son mandat principal en 2006 consistait à assurer la promotion du vote chez les Premières Nations, tandis que, en 2008 et en 2011, les efforts ont surtout été investis dans la transmission de l’information aux Premières Nations afin de les aider à surmonter les obstacles au vote 43. En 2015, Élections Canada a signé un contrat avec l’APN en vue des élections fédérales de 2015, contrat qu’Élections Canada a décidé de reconduire pour les élections de 2019. Le mandat de l’APN comportait trois volets, d’abord un volet de « recherche » afin de recenser les obstacles à la participation pour les électeurs des Premières Nations, un volet « communication » pour informer les électeurs des Premières Nations afin qu’ils sachent où, quand et comment s’inscrire et voter, ainsi qu’un volet « sensibilisation » qui consistait, entre autres, à organiser des activités de sensibilisation au sein des communautés afin de diffuser des messages clés et déterminer les circonscriptions électorales prioritaires 44. Ces initiatives ciblaient l’ensemble des Premières Nations, tous groupes d’âge confondus.
Un certain nombre des recommandations formulées dans le rapport de l’APN, intitulé Faciliter la participation électorale des Premières Nations lors de la 42e élection générale fédérale, ont été incorporées au projet de loi C-76, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à d’autres textes législatifs. D’autres recommandations ont été faites dans le rapport, intitulé Faciliter la participation des électeurs des Premières Nations à la 43e élection générale fédérale, notamment
[u]ne formation ou du matériel éducatif complet, élaboré en coordination avec les Premières Nations pour tout le personnel électoral d’Élections Canada, sur la participation des Premières Nations au processus électoral fédéral, y compris des informations sur les obstacles historiques à leur participation, les méthodes d’identification des électeurs des Premières Nations et les récents efforts pour accroître l’accessibilité des Premières Nations au processus électoral fédéral 45.
De 2011 à 2015, Élections Canada a envoyé 1,76 million de lettres à des électeurs et électrices potentiels pour les inciter à s’inscrire ou à confirmer les renseignements à leur sujet 46. Un mois avant le scrutin du 21 octobre 2019, des lettres ont été envoyées à quelque 213 000 électeurs âgés de 18 à 26 ans 47.
Il ressort de l’Enquête sur la population active menée par Statistique Canada à la suite des élections de 2015 que, par rapport au reste de la population, les jeunes âgés de 18 à 24 ans ont été plus nombreux à voir comme un obstacle le fait de devoir produire une preuve d’identité 48. Cette situation pourrait être en partie attribuable aux modifications apportées en 2014 à la Loi électorale du Canada, qui ont interdit l’utilisation de la carte d’information de l’électeur comme pièce d’identité 49. Dans l’ENJ de 2015, 12 % des jeunes non-votants ont affirmé qu’il leur aurait été difficile de présenter une preuve d’identité 50.
En plus des publicités s’adressant aux jeunes diffusées par des canaux ciblés (stations de radio, panneaux numériques sur les campus et dans des autobus, etc.) 51, Élections Canada met à profit les nouvelles technologies de communication pour joindre dans la plus grande mesure possible les jeunes électeurs et électrices. En 2015, le service d’inscription en ligne, qui était disponible pour la première fois dans le contexte d’une élection générale, a été utilisé par plus de 1,7 million de Canadiens, dont 70 % avaient moins de 45 ans 52. Dans la période ayant précédé les élections de 2019, plus de deux millions d’utilisateurs ont accédé au service d’inscription en ligne pour vérifier s’ils étaient inscrits et plus de 80 000 se sont inscrits sur les listes électorales. Parmi ceux ci, 75 % (60 000 électeurs) étaient âgés de 18 à 24 ans 53.
Dans sa campagne de communication et de sensibilisation menée en vue des élections générales de 2015, Élections Canada a utilisé les médias sociaux pour la première fois afin de diffuser des renseignements sur l’inscription et le vote 54. Selon l’ENJ de 2015, 40 % des jeunes de moins de 35 ans se sont servis des médias sociaux pour échanger de l’information politique, contrairement à 29 % des adultes plus âgés 55. En août 2015, afin de présenter ses services aux électeurs, Élections Canada a aussi créé un site Web consacré aux élections à venir, qui a enregistré 16 millions de visites durant la campagne électorale 56. L’ENJ de 2015 a aussi révélé que les jeunes ont utilisé principalement des sources Web pour s’informer durant les élections, alors que, pour les adultes plus âgés, la télévision demeurait la première source d’information 57.
En 2019, Élections Canada a travaillé de concert avec les plateformes numériques Google, YouTube, Facebook, Instagram, Snapchat et Twitter afin de produire plus d’une douzaine d’initiatives en ligne visant à inciter les électeurs à consulter son site elections.ca et à utiliser l’outil d’inscription en ligne. Dans Facebook, le rappel pour l’inscription (du 16 au 21 septembre 2019) a produit 988 222 visites au service d’inscription en ligne. Élections Canada a aussi collaboré avec Google pour veiller à ce que les personnes effectuant des recherches pour obtenir des renseignements sur le vote soient orientées vers son site elections.ca. Élections Canada a également utilisé ses comptes de médias sociaux pour interagir avec le public. Entre le 11 septembre et le 22 octobre 2019, Élections Canada a reçu 44 667 messages dans ses comptes et répondu à 2 696 demandes de renseignements 58.
Par ailleurs, on peut trouver sur Internet une foule de renseignements sur les partis politiques, leur programme et leur chef. Dans leur étude de 2011 sur la participation électorale des jeunes, André Blais et Peter Loewen affirment que « l’accès à Internet permet probablement d’obtenir plus facilement l’information requise pour voter et que c’est probablement pour cette raison que le taux de participation est plus élevé chez les personnes qui utilisent Internet 59 ».
Toutefois, il faut être prudent avant d’y voir une panacée permettant de faire participer davantage les jeunes au processus électoral. Les jeunes peuvent être submergés par la quantité d’information disponible et la nature désordonnée d’Internet.
Quant au vote électronique, il s’agit d’une méthode de scrutin qui pose toujours des défis d’ordre technique en matière d’authentification, de sécurité et de respect de la vie privée 60.
La sensibilisation des jeunes avant qu’ils ne soient en âge de voter est une voie qu’Élections Canada considère comme prometteuse. Les exercices de simulation parlementaire et électorale permettent aux jeunes d’établir un premier contact avec le processus politique et de s’initier aux rudiments des débats parlementaires. L’ENJ de 2015 a révélé que 49 % des électeurs et électrices de moins de 35 ans considèrent que voter est un devoir, alors que 47 % estiment qu’il s’agit d’un choix. Pour les répondants de 35 ans et plus, ces proportions s’établissaient respectivement à 64 % et à 36 % 61.
Depuis 2004, Élections Canada appuie l’initiative Vote étudiant, qui permet à des jeunes de moins de 18 ans de vivre le processus électoral fédéral par la tenue d’une élection parallèle dans leur école. De telles élections parallèles ont été tenues dans le cadre de l’initiative Vote étudiant lors de chaque élection fédérale depuis 2004. Selon les conclusions d’une évaluation de Vote étudiant commandée en 2011 par Élections Canada, ce programme a « une incidence positive notable sur de nombreux facteurs associés à la participation électorale, notamment les connaissances, l’intérêt et les attitudes politiques 62 ». Parallèlement aux élections générales de 2021, plus de 800 000 élèves de près de 6 000 écoles représentant les 338 circonscriptions ont voté pour les candidats qui se présentaient dans la circonscription de leur école, certains jouant également les rôles de directeur et de greffier du scrutin 63.
Élections Canada, de concert avec ses partenaires fédéraux et provinciaux, a élaboré une stratégie visant la création de matériel d’éducation civique sur les élections à l’intention des enseignants du pays 64. D’ailleurs, Élections Canada renouvèle ce matériel et selon le Plan ministériel 2023-2024, prévoit de poursuivre ses efforts dans ce domaine 65. Cette initiative est conforme aux recommandations de plusieurs chercheurs qui estiment qu’il faut accorder plus de place à l’éducation civique dans les programmes scolaires 66.
Au Canada, on dispose de peu de données sur la place qu’occupe l’éducation civique dans les programmes scolaires des provinces canadiennes. Comme l’approche utilisée, l’âge des étudiants et le nombre d’heures consacrées à cette matière diffèrent d’une administration à l’autre, les comparaisons sont difficiles à établir. Malgré l’absence d’une évaluation systématique des effets de l’éducation civique sur la participation électorale au Canada, les recherches semblent indiquer qu’elle a une incidence positive sur la participation électorale future des jeunes 67. Rappelons toutefois que la capacité du gouvernement fédéral d’intervenir dans le secteur de l’éducation est limitée du fait que la Loi constitutionnelle de 1867 accorde la quasi totalité des pouvoirs dans ce secteur aux gouvernements provinciaux 68.
Le déclin de la participation électorale des personnes pouvant voter pour la première ou la deuxième fois a commencé à s’observer après les élections générales fédérales de 1984. Même si le nombre d’électeurs ayant exercé leur droit de vote pour la première ou la deuxième fois a considérablement augmenté au cours des deux dernières élections générales, la participation électorale des jeunes demeure plus faible que celle de tous les autres groupes d’âge. Plusieurs recherches sur l’abstention des jeunes électeurs et électrices semblent indiquer que le simple fait d’avancer en âge n’augmenterait plus la propension à voter, comme cela a pu être le cas pour les générations précédentes.
Des études plus récentes se font moins alarmistes et parlent plutôt d’un report de la participation des jeunes d’aujourd’hui découlant de leur entrée plus tardive dans la vie adulte par rapport aux générations précédentes. D’autres sont d’avis que la non participation peut être temporaire et n’est pas garante de l’avenir.
Les recherches sur les déterminants de la participation des jeunes Canadiens ne font pas consensus quant aux facteurs sociodémographiques possiblement concernés. Par exemple, les auteurs ne s’accordent pas sur l’intérêt des jeunes pour la politique. Certains sont d’avis qu’ils s’y intéressent moins que leurs aînés, tandis que d’autres considèrent que l’intérêt varie en fonction de certains sous-groupes de jeunes, indiquant que les jeunes ne forment pas une population homogène. Cela dit, plusieurs auteurs semblent convenir que les jeunes qui sont nés au Canada sont nettement plus susceptibles de voter que ceux qui sont nés à l’extérieur du pays. Aussi, il semble y avoir consensus quant au fait que les jeunes d’aujourd’hui ont moins de connaissances politiques, une plus grande méfiance face au système et un sens civique moins développé que les générations précédentes.
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